La non violence brise silences et dérange
Tableau sommaire du cadre politique dans lequel se situe ce récit. De Gaulle est revenu au pouvoir en 1958 à la suite d’une sorte de coup d’état, conséquence la gestion désastreuse de la guerre d’Algérie par le gouvernement socialiste de Guy Mollet.
La SFIO, ancêtre de notre PS, est déshonorée par le « silence » de son gouvernement (Guy Mollet) sur ces tortures, les destructions de villages, par la guerre contre l’Egypte coupable de nos malheurs avec le FLN algérien, par son appel désespéré au sauveur suprême De Gaulle. Honteuse, elle se tait
Le PCF a voté les pleins pouvoirs à Guy Mollet, considère que la classe ouvrière veut garder l’Algérie dans son empire colonial et n’est pas mure pour admettre son indépendance. Il est Encore totalement stalinien, et lié à l’URSS pour laquelle De Gaulle est un adversaire intéressant des Etats Unis à ménager. Donc,en dehors de quelques précurseurs, il se tait
De Gaulle tergiverse encore, multiplie les déclarations contradictoires
Le PSU né de la fusion d’anciens socialistes, d’anciens communistes, de chrétiens presque tous ouvriers, d’une poignée de trotskistes, d’intellectuels regroupés autour de France Observateur crie dans le silence général « Et l’Algérie ? ».Il organisera les premières manifestations non autorisées, bien avant celle dramatique du métro Charonne avec ses 8 morts
Le MAN (mouvement pour une alternative non violente) a brisé une première fois le silence de la grande presse en réunissant environ 3000 personnes sur l’esplanade du Château de Vincennes pour un sit-in non violent
Je décide de participer à leur prochaine action en bas des Champs Elysées à 18 h. Je fais comme les autres et je m’assois par terre en brandissant un carton « non aux tortures » ou « paix avec l’Algérie ». La police a tiré les leçons ce Vincennes et voulant éviter la présence d’une foule importante embarque dans ses cars les manifestants au fur et à mesure de leur arrivée. La consigne est de ne pas résister et de se laisser traîner. Le silence, la dignité, la non-résistance mettent les policiers dans une rage froide ; ils cassent les lunettes d’une vielle dame, déchirent la soutane d’un prêtre (ils portaient encore soutane). Sur le bord du trottoir une bande de fachos nous insultent, nous traitent de pédés et menacent de nous casser la gueule. Je me demande jusqu’où nous pourrons pousser la non-violence Mais ils n’ont pas osé le faire, malgré la solidarité de la police. Quelle belle preuve de la force morale de la non-violence !!!
Comme les autres je suis pris comme un sac de patates par les bras et les jambes puis balancé dans un car, et pendant le vol inquiet sur les conditions de l’atterissage qui se fera bien. On nous conduit dans le centre de rétention de Beaujon réservé aux « terroristes » et les cars défilent dans les beaux quartiers avec derrière les grilles nos pancartes iconoclastes. On sépare les hommes et les femmes et c’est le défilé devant les inspecteurs éberlués de découvrir moult officiers de la légion d’honneur, un professeur au collège de France, des « notables » ! Comme les autres je passerai à la séance de photographie d’identité judiciaire comme les criminels avec un numéro sur le ventre. Le lendemain un ami de mon lycée me dira que, à côté de lui, il avait remarqué un quidam possédant un passeport diplomatique et, curieux, découvert qu’il s’agissait de Pierre Joxe futur ministre de l'intérieur mais surtout fils du ministre du général De Gaulle qui plus tard allait négocier les accords d’Evian avec le FLN algérien. Emoi dans les hautes sphères évidemment et on vient proposer à Pierre Joxe de le libérer et il refuse !

Dans ma celluledu centre de rétention de Baujon créé pour les militants du FLN, se réalisait un rassemblement hétéroclite de professions et d’engagements politiques et une nuit passionnante de discussion qui fascina les flics chargés de surveiller ces dangereux révolutionnaires

On nous libéra par petits groupes à 5 heures du matin dans le bois de Boulogne le plus loin possible d’un métro !