La fin de la Guerre d'Algéie dont le refus a été le ciment de l'unification PSU (U=unifié) oblige ce parti à se trouver une véritable identité. Cela explique la bataille qui a opposé avec une grande violence et même de la haine 2 lignes politiques diamétralement opposées sur presque tout ; la scission était inéluctable à terme! Je parlerai de majorité et de minorité puisque ce fut le cas clairement jusqu’en 67.
Dans la majorité on trouvait le secrétaire national Edouard Depreux, son dauphin dnaturel Gilles Martinet, Heurgon, Rocard, Mendès-France, Bérégovoy, les cadres de la CFDT depuis le niveau national autour d’Edmond Maire jusqu’aux cadres intermédiaires, les chrétiens issus du MLP au moment de la naissance du PSU, une partie de la direction de l’UNEF, et des théoriciens marxistes dont je reparlerai.
La minorité était dirigée par Jean Poperen, l’autre successeur possible de Depreux et paraissait bien hétéroclite car composée d ‘anciens communistes comme Poperen lui-même, de trotskistes et de sociaux démocrates qui n’acceptaient pas d’avoir perdu le pouvoir mais aussi qui avaient le même projet (voir la suite dont 1967 est le point d’orgue par rapport à la FGDS de Mitterrand)
La majorité rêvait de faire du PSU la force principale de la gauche, car la SFIO était déshonorée par Guy Mollet, la guerre d’Algérie et ses tortures, la désastreuse expédition de Suez contre l'Egypte (Gaston Defferre lors de la présidentielle de 69 dépassera de justesse les 5% alors que Mendés le soutenait) et d’autre part le PC n’était pas encore sorti du stalinisme et de la soumission à l'URSS, payait les événements de Hongrie, ses pleins pouvoirs à Mollet. Il y avait dans cette orientation les prémices de la 2e gauche mais aussi celles de l’écologie politique et de la radicalité révolutionnaire qui fit que le PSU fut comme un poisson dans l'eau dans le mouvement de Mai 68, beaucoup de militants aussi qui plus tard allaient se retrouver à la GOP (Gauche ouvrière et paysanne où se trouveront Alain Lipietz, Gilles Lemaire et bien des Verts de 2006).
La minorité rêvait de refaire le Front Populaire de 1936 et de servir de courtier, de marieur ente les sociaux démocrates et le PC ; l’unité de la gauche était plus importante que l’affirmation autonome. Quand Mitterrand et Marchais ont voulu faire leur rassemblement autour du programme commun ils n’ont pas eu besoin du PSU et ils ne l’ont même pas écouté ni La CFDT d’ailleurs (le PC devrait le regretter !).

La différence était aussi théorique. Des penseurs comme Pierre Belleville, Serge Mallet pratiquaient un marxisme vivant, en analysant la nouvelle classe ouvrière (celle de l’électronique, de l’aéronautique, de la pétrochimie, de l’informatique naissante..) qui n’était plus la même que celles des mineurs, des sidérurgistes, des travailleurs sur les chaînes et aussi la paysannerie, comme l’aurait fait Marx. Poperen dénonçait un révisionnisme dangereux, une complicité avec la « gauche américaine » ou la technocratie et Rocard, lui, mais pas d’autre lui a donné quelque part raison.

La majorité a beaucoup travaillé dans des domaines comme le « cadre de vie » qui était en fait le début de l’écologie politique, dans le refus du nucléaire civil et militaire et je ne pense pas honnêtement que la minorité ait voulu se cantonner dans les luttes ouvrières. Par contre il me semble bien qu’elle n’ait pas totalement accepté le « décoloniser la province » de Mendés et Rocard ; marquée qu’elle était, je pense par la tradition jacobine de la Révolution de 1789. Et en tous cas elle a fortement critiqué les « colloques de Grenoble » et la notion de « contre-plan », signe d’un réformisme larvé. J’ai souvent entendu Heurgon se dire « girondin » par rapport à 1789 et il était historien !
La lutte était tellement féroce que tous les moyens étaient bons, y compris les attaques sur la vie privée et Heurgon était la cible privilégiée bien plus que Rocard. Que n’a t’on pas entendu sur ses liens avec les étudiants, les lycéens associés à sa misogynie ! et je ne parlerai pas du scandale de l’affaire Aubriot ! Ces luttes personnelles ou de tendances pas toujours perçues clairement nous ont fait perdre beaucoup d ‘adhérents actifs qui étaient venus sur le combat contre la guerre d’Algérie. le PSU avait du mal à définir clairement son identité profondément originale

Les questions internationales me semblent avoir fait un large consensus. Par contre la prise de position favorable au peuple palestinien a profondément divisé le mouvement et nous a fait perdre beaucoup de militants juifs ; mais ces clivages ont traversé les 2 sensibilités et je sais que Rocard avait des liens très amicaux avec le délégué de l’OLP en France qui a été assassiné

Le tournant fondamental de 1967 Le PSU n’est pas en pleine forme. Mitterrand commence son irrésistible ascension vers le pouvoir à travers une série de clubs. Beaucoup regrettent la vieille « maison socialiste » et pensent à leur avenir politique dans cette FGDS. Le PSU est à la croisée des chemins par rapport aux 2 lignes décrites plus haut. Edouard Depreux doit passer la main et ses deux dauphins potentiels, jusque là rivaux, sont d’accord pour se rapprocher de la FGDS ; le courant De Poperen qui auparavant nous accusait de vouloir vendre le PSU aux socialistes suit largement son leader sauf des camarades comme Bernard Ravenel. De l’autre côté, Depreux, Heurgon, Rocard, les cadres CFDT et les « cathos » tiennent bon, sur une ligne autonome et les secrétaires nationaux planifiés sont battus par la base ( le PSU a la curieuse originalité d’avoir mis en minorité presque tous ses secrétaires nationaux : Rocard et Chapuis en 1974, Huguette Bouchardeau et Serge Depaquit, et enfin Jean-Claude Lescornet)
Qui va donc succéder à Depreux ? Vide dangereux ! Heurgon entre en scène. Il ne veut pas devenir secrétaire national ou pense qu’il ne le peut pas étant donné son image ? IL passe un temps énorme à convaincre Rocard. Celui-ci a un poste important et bien payé comme haut fonctionnaire, au Plan, je crois ; deux enfants ; une carrière prometteuse, rectiligne ; il milite sous un pseudo Georges Servet. Le secrétaire national sera bien moins payé, l’avenir politique incertain étant donné les pertes de ténors et de militants du parti ; qu’auriez vous fait à sa place ? Et bien ce diable d’Heurgon réussit à le décider et lance ainsi la carrière de Rocard jusque là inconnu. Heurgon n’avait pas prévu Mai 68, Rocard traîné sur les barricades, Rocard bras dessus-bras dessous avec Krivine et…. Candidat du PSU à la Présidentielle de 1969, avec un score honorable, enfin connu du grand public ! Cela pose la question des rapports complexes que Rocard et Heurgon ont entretenu à cette époque d’avant 69; oubliez un moment l’après 68, la création de la GOP et les oppositions profondes de cette époque. Pendant des années je les ai vus presque quotidiennement et souvent ensemble. D’abord ils étaient alors pour l’essentiel sur la même ligne politique d’autonomie et ils se complétaient parfaitement l’un à l’organisation et aux manœuvres de congrès (grande faiblesse de Rocard), l’autre à la réflexion intellectuelle de moyen terme ; l’un apte aux synthèses rapides (Heurgon) l’autre analyste d’une finesse exceptionnelle pour décortiquer les 10 ou 12 aspects d’une question, mais paralysé pour faire la synthèse et aller à l’essentiel, hésitant voire timoré. Donc complices, mais déjà un peu méfiants l’un vis à vis de l’autre par rapport à la prise de pouvoir politique ultérieure et avec des tempéraments assez opposés. Heurgon avait un mépris total pour la sociale démocratie, une sorte de fascination-répulsion pour le PC, à cause de son implantation militante, de son organisation. Il avait de la méfiance par rapport aux trotskistes trop ratiocineurs, pas assez réalistes et beaucoup de tendresse pour les cathos de gauche.