La manif allait se terminer pour une fois sans incident, sans charge des forces de l’ordre qui étaient toujours brutales. J’étais avec Janine, une camarade de ma section qui s’était foulé une cheville (au retour du ski…en descendant de son lit !)

Soudain nous percevons que, au loin, les choses tournent mal. Comme d’habitude nous nous replions le plus vite possible, et…. je me souviens que Janine clopine et je reviens la chercher. Nous fuyons à son allure sur le trottoir et bien évidemment les CRS arrivent. Avec une trentaine de manifestants nous nous réfugions dans l’immeuble le plus proche.

Certains se mettent à chanter la Marseillaise quand les CRS passent devant l’immeuble. Bien entendu, face à cette provocation les CRS s‘engouffrent dans l’immeuble. Une partie des manifestants se réfugie dans l’escalier ; Janine, moi et une dizaine d’autres descendons dans l’escalier en colimaçon de la cave et restons bloqués un peu plus bas. Nous entendons les cris des camarades que les policiers matraquent sauvagement dans l’escalier. Ils s’apprêtent à nous faire subir le même sort et je serai le premier à leur portée, en bouclier de notre bouchon ; je sens Janine paniquée et je reste étrangement calme (manque d’imagination, optimisme ?). La lumière de notre escalier est en panne : les CRS sont braves mais pas téméraires, pensent peut-être que nous avons des bâtons. Ils nous promettent d’aller chercher des torches. Mais leurs chefs ont besoin d’eux plus loin. Alors, avant de partir, pour marquer leur mépris ils pissent dans l’escalier!

En remontant nous trouvons dans la petite cour des blessés que le pharmacien mitoyen soigne. Dans les rues nous voyons des groupes de jeunes balancer des pierres sur mes cars de police et devinons qu’il s’est passé des choses graves. Nous apprendrons les morts du métro par la radio chez Janine et j’irai rejoindre les autres responsables des sections PSU.

Les 8 morts étaient pratiquement tous membres du PCF, ce qui permet à ce parti de dire maintenant qu’il a été le premier et le seul à militer pour la paix en Algérie, escamotant cyniquement les manifestations interdites organisées par le PSU, l’UNEF, la CFDT et souvent FO entre 1960 et 1962. Avant même octobre 1960 le PSU avait organisé seul un rassemblement place Clichy avec discours de son secrétaire national Edouard Depreux, juché sur le socle de la statue ; rassemblement organisé avec les techniques de la résistance : rendez-vous secondaires connus de deux personnes seulement et fixés une demi-heure seulement avant l’heure prévue; la manifestation put se disperser avant l’arrivée de la police. Nous étions fiers de ce bon coup et de la réussite de notre organisation !

L’enterrement des 8 manifestants de Charonne regroupa des centaines de milliers de parisiens. Joua t’il un rôle dans la décision du général de Gaulle de signer les accords de paix d’Evian avec le FLN, le 18 avril 1962. Les historiens en doutent.