Stéphane Sitbon-Gomez : Actuellement pour beaucoup de gens le PSU disparaît en 1974 avec le passage de Michel Rocard et de ses amis au PS. Comment vis-tu cette période, celle des Assises du socialisme ?

Guy Philippon : D’abord tu sais bien que la dissolution « juridique » du PSU n’intervient que le 7 avril 1990 soit 30 années exactement après sa naissance. Même si c’est le 25 novembre 1989 qu’avait été officialisée la fusion entre le PSU et la Nouvelle Gauche de Pierre Juquin sous le nom d’Alternative Rouge et Verte.

  • Et puis le PSU connaîtra encore bien de riches heures dans ces 15 dernières années, entre 1974 et1989. Il participe à bien des luttes sur le plan national mais également à des solidarités internationales. Il continue à semer pour l’avenir en particulier pour l’écologie politique, à expérimenter des rassemblements alternatifs et, même, participe en1983 au gouvernement avec Huguette Bouchardeau ministre de l’environnement de Laurent Fabius. Mais nous en reparlerons n’est-ce pas ?
  • Pour répondre à ta question j’ai participé au Conseil national d’Orléans qui a vu le PSU refuser de participer aux Assises du socialisme parce que cela aurait signifié la disparition du PSU et son intégration dans le PS. Rocard n’a obtenu que 40% des mandats et a démissionné du PSU. J’ai vécu cette rupture avec tristesse ; mais le PSU a gardé son autonomie.
  • Les Assises du socialisme ont donc eu lieu juste après le Conseil national d’Orléans, les 12 et 13 octobre 1974 à Paris. Cette opération de rassemblement était une réussite car elle regroupait autour du PS une minorité de membres du PSU dont Michel Rocard et Robert Chapuis (qui avait été secrétaire national pendant l’année précédente) mais aussi des cadres de la CFDT comme Jacques Chérèque, Edmond Maire, Pierre Héritier, des chrétiens de Vie nouvelle ou de Témoignage chrétien et des autogestionnaires venus des Groupes d’Action Municipale (GAM) ou d’Objectif socialiste comme Robert Buron (tous ces derniers avaient participé avec le PSU au Front autogestionnaire). Le PS voulait poursuivre son processus de rassemblement entamé au congrès d’Epinay en 1972. Les autres : rocardiens, syndicalistes de la CFDT, chrétiens constituant ce que l’on appelait la « Deuxième gauche » cherchaient la prise en comptes d’aspirations sociétales et syndicales par une forte médiation politique. Cette collaboration nouvelle avait été esquissée entre le PSU et la CFDT (importance du qualitatif par rapport au quantitatif, hostilité au nucléaire, critique commune du Programme commun PS-PC-MRG). Elle avait été concrétisée dans la lutte des Lip mais le PSU et même la CFDT connaissaient de vrais problèmes internes et le « union, action, programme commun » commençait à peser lourd comme l’espoir de voir la gauche unie gagner ! Le PSU n’avait qu’un seul député Yves Le Foll à Saint-Brieuc. L’unité est toujours une exigence forte du peuple de gauche !

Stéphane : Alors quel bilan ?

  • Guy : cette entreprise de rénovation du PS est en fait un échec. Les ostracismes de François Mitterrand premier secrétaire du PS depuis le congrès d’Epinay en 1972 envers les nouveaux venus et les manœuvres d’appareil sont immédiats : méfiances en souvenir des oppositions passées, des ambitions devinées et, plus important, différences profondes de culture à tous les sens du terme. Par exemple Mitterrand était un littéraire et Rocard un économiste ; Mitterrand était décrit comme un « florentin » quelque peu cynique et Rocard a eu bien des naïvetés comme celle de croire que Mitterrand l’accepterait comme dauphin. Les Assises n’avaient pas été préparées par un lent travail de synthèses idéologiques et programmatiques. En effet un an avant Robert Chapuis faisait dans Critique socialiste une critique au vitriol du PS et Rocard dans sa postface au Lip de Charles Piaget faisait un peu de même. Les Assises ont été plus une cérémonie médiatique dans un grand hôtel parisien qu’un débat de fond. Des cadres de la CFDT que je connais me l’ont vite affirmé et François Kraus cite même une déclaration d’Edmond Maire : « Je rêvais à cette époque, et je n’étais pas le seul, d’un parti qui eut été simultanément pour l’Etat et pour la société. Eh-bien ! François Mitterrand m’a fait faire, en politique, un progrès considérable ; je ne rêve plus ». Humour noir !
  • Dans l’optique bilan « positif » pour le PS on peut dire que le PSU aura formé un nombre important de cadres pour le PS . Un politologue m’a affirmé, mais il devait exagérer un peu, que la moitié des ministres du premier gouvernement Mauroy étaient passés par le PSU. A l'appui de cette affirmation l'information que nous donna Gilles Martinet un an avant sa mort; Mauroy voulait nommer ministre Martinet et Mitterrand avait refusé en disant qu'il y avait trop de rocardiens dans ce gouvernement Les plus connus de ces ministres de 1981 sont 4 fondateurs du PSU : Pierre Bérégovoy, Michel Rocard, Charles Hernu (ce n’est pas celui dont je suis le plus fier !), Alain Savary (qui est le meilleur des ministres de l’Education nationale que j’ai connus) et aussi Jack Lang Il est difficile de dire quelle part de leurs actions positives est due à leur passage dans le laboratoire PSU.
  • Le bilan pour le PSU est une perte d’adhérents (7800 en 1974 et 5300 en 1975 semble-t-il) Dans notre arrondissement de Paris seulement 5 militants nous quittent pour rejoindre le PS et quelques autres abandonnent le parti. Mais l’affaiblissement ne dépasse pas 10 personnes. Le congrès d’Amiens des 14, 15 et 16 décembre 1974 marque une volonté unanime de redémarrage. La résolution finale votée à 96% des mandats lance un appel à l’élargissement du parti vers un « mouvement pour le contrôle ouvrier et l’autogestion ». Un protocole entre le PSU et l’AMR (Alliance Marxiste Révolutionnaire) va être signé et aboutira à l’entrée de l’AMR dans le PSU. Michel Mousel devient secrétaire national. Et le restera jusqu’en 1979.