• En arithmétique, en géométrie, en algèbre, on retrouve pour certaines démonstrations de théorèmes les mêmes structures appliquées à des notions différentes. Comprendre l’unité commune, la réalité profonde des structures de démonstration donc de pensée, c’est faire un progrès dans la connaissance vraie. Prendre l’habitude de ne pas rester à la surface des problèmes, à la facilité des habitudes simples, c’est faire de la politique. Les bourbakistes des maths modernes avaient des buts politiques et les débats virulents qu’ils ont provoqués étaient politiques
  • Pour vulgariser les structures, il fallait leur donner des noms, les baptiser. Ils ont eu le souci de prendre des mots à usage courant : groupes, anneaux, corps, ensembles, réunion, application, etc. Ils ont réussi à imposer de nouveaux signes calligraphiques pour exprimer des idées courantes et pas seulement mathématiques : le E renversé verticalement pour signifier « il existe », le A renversé horizontalement, pointe en bas pour exprimer « quel que soit », (quelle que soit la religion par exemple). Ils ont influencé le monde entier.
  • Le malheur est qu’ils sont allés trop vite, sans prendre en compte la massification des entrées dans les lycées et les universités, et sans connaître les possibilités d’adaptation de l’ensemble de la population dans une période de transition. L’approfondissement, la découverte des structures intimes accroissaient l’abstraction déjà présente dans les mathématiques. Les parents ont l’habitude d’aider leurs enfants à partir de ce qu’ils ont acquis à l’école ; les maths modernes ont exclu celles et ceux qui, pour de multiples raisons, ne pouvaient pas apprendre le sens des nouveaux mots, et relier cela à leurs acquis. Donc la coupure entre les milieux modestes et les classes supérieures s’est aggravée. Ce n’était pas le but recherché ! Et les enseignants eux-mêmes n’ont pas été formés réellement à cette révolution mathématique. D’où un relatif échec, même si subsiste un certain nombre d’acquis. Le philosophe-sociologue Jean Piaget a montré que la théorie des ensembles introduite dans les écoles primaires avec les notions de réunion ou d’intersection est plus facile à comprendre pour les enfants que les questions de numération. Le balancier de la mode est revenu en arrière vers une philosophie plus pragmatique. Il est certes important de montrer pédagogiquement à quoi servent les maths ; mais évacuer la compréhension des structures, des difficiles notions de limite ou d’infini est grave pour la formation intellectuelle des jeunes !
  • Conclusion : il existe des modes en maths comme ailleurs, et aussi des luttes de tendances aussi vives qu’en politique … Les révolutions demandent du temps, de la patience, de l’écoute attentive des plus modestes, de la lucidité ! Cette leçon veut s’adresser aux autogestionnaires. Je pense à mes camarades de l’Alliance Marxiste Révolutionnaire (AMR ou pablistes) qui sont allés en 1962 en Algérie pour construire une Algérie autogestionnaire avec leur ami Ben Bella (ils ont fait partie de ceux qui ont été baptisés « pieds rouges » par comparaison à « pieds noirs ») ; ils ont surestimé la capacité d’adaptation des masses paysannes et puis Ben Bella a été renversé par l’armée …
  • La lutte des ouvriers de Lip à partir de 1973 est un bon exemple de ce qui peut permettre la compréhension par un grand nombre d’une démarche autogestionnaire et de ce que l’autogestion pourrait apporter à notre société. Giscard d’Estaing alors président de la République avait bien compris le risque pédagogique que provoquerait la réussite des Lip ; il déclara : « il ne faut pas qu’ils vérolent ! la classe ouvrière française » et il cassa un financement possible !
  • Vive l’autogestion écologique qui est, elle aussi, une « structure » de société possible … souhaitable ? Pensons structures !