La démocratie et les tendances

  • La question des tendances a régulièrement agité les partis et les syndicats. Ce mot est souvent péjoratif. On le remplace par « sensibilités» (de même les concierges sont devenus gardiens d’immeuble, les instituteurs professeurs des écoles, etc.). Elle redevient d’actualité avec la question des frondeurs du PS, celle de Jean-Vincent Placé, François de Rugy, etc. dans EELV ; donc essayons de poser les problèmes de fond :
  • Une tendance est, à l’intérieur d’une organisation, un regroupement de personnes possédant en commun un grand nombre d’options et voulant peser dans le même sens sur les orientations de leur mouvement. L’expérience de dizaines d’années m’a fait constater que certain/es personnes sont plus productives d’idées claires ou neuves, que d’autres sont meilleures pour la rédaction de textes Le groupe est nécessaire pour apporter critiques, nuances, compléments et valider le consensus par le vote final et la signature de chacun/e.
  • L’histoire peut apporter quelques éclairages et je veux y contribuer en analysant ces aspects à travers mon vécu politique entre 1957et aujourd’hui dans des organisations minoritaires mais importantes. J’aurai appartenu à 10 ou 11 tendances. Je peux dire que la plupart, des textes fondamentaux - charte, textes de congrès, décisions cruciales pour l’avenir - ont été élaborés au départ dans des tendances et dans la confrontation de plusieurs tendances.
  • Les médias discréditent les tendances comme sources de conflits, de divisions ; mais le conflit ne serait-il pas une caractéristique de la vie et les divergences une condition nécessaire (mais pas suffisante) de la démocratie ? Les tendances sont incontestablement un lieu d’élaboration ! Elles contribuent à intégrer dans le parti si leurs échanges sont conviviaux et productifs ; elles rassurent celles et ceux qui ont quelques options minoritaires et constatent que d’autres personnes partagent ces idées « marginales »
  • Les tendances supposent des liaisons horizontales entre groupes locaux, à côté des liaisons verticales, de la base vers le national. Elles contribuent donc à la démocratie interne. Elles permettent également de promouvoir certain/es de leurs membres à des postes de responsabilité internes ou externes, ce qui peut devenir discutable pour une bonne démocratie. Pour assurer leur promotion, certain/es créent en réalité de fausses tendances qui sont en fait des clans, des « écuries »
  • Lors des congrès appelés AG chez les écologistes, la démarche dialectique se poursuit entre les textes des différentes motions, d’où des compromis voire des alliances (parfois surprenantes lorsque le choix commande l’élection à des responsabilités internes ou externes). Le problème démocratique est que, souvent, les compromis sur le projet, la ligne politique, les alliances de motions sont dans la réalité dominées par la question du pouvoir. La difficile question démocratique est la question fondamentale du pouvoir, du choix des personnes auxquelles on le délègue provisoirement et partiellement.
  • Le choix du tirage au sort peut donner le meilleur ou le pire et il suppose que le mouvement puisse prendre le temps nécessaire à la formation de cadres inexpérimentés au départ. Les tendances minimisent ce risque, comme celui de choisir une personne car elle est la meilleure oratrice ou la meilleure « magouilleuse », ou la plus consensuelle parce qu'insignifiante, fade, donc peu dangereuse pour les vrais détenteurs du pouvoir (j’ai des exemples précis mais ce serait méchant de les préciser).
  • Mais la tendance devient parfois une fraction ! Une fraction va plus loin, mais dans le sens négatif indiqué par le mot qui a même origine que fracture. Elle exige souvent une discipline quasi militaire dans le mouvement et intervient à l’extérieur sur ses propres mots d’ordre, en contradiction ou non avec les positions démocratiquement élaborées par l’association. Elle diffuse parfois son propre journal et prépare souvent une scission. Dans le PCF l’accusation de fractionnisme servait à exclure.
  • Je vous enverrai un deuxième texte sur l’historique des fusions d’organisations et scissions totales ou partielles, essentiellement celles que j’ai vécues dans le PSU entre 1960 et 1990. Elles ont bien évidemment des liens avec tendances et fractions ; elles existent depuis le début du vingtième siècle, en particulier dans le parti socialiste, refusées vigoureusement par le PCF, revendiquées par les trotskistes. Quand une tendance devient-elle fraction préparatoire d’une scission totale ou partielle, comme l’indique le mot de même origine que fracture?
  • A bientôt !