• Le premier curé, pour lequel j’ai été enfant de chœur, était dans cette petite paroisse car il avait été sanctionné. Il avait « fait un enfant » à sa gouvernante. Il devait finir sa carrière dans cette paroisse peu pratiquante. Mais l’église, un peu magnanime, lui permettait de conserver sa gouvernante, Valentine. Chaque année le fils qui tenait un bain-douches à Clermont venait rendre visite à ses parents (c'était en principe le neveu mais il était la copie conforme du père) et, dans le bourg, circulait la rumeur amusée : « Tiens ! Le curé reçoit son fils ! » Personne n’était choqué ou critique. Personne n’ironisait, personne n’exploitait l’affaire ! Belle preuve de déchristianisation réussie que l’indifférence ou l’accord avec des déviances de l’église officielle?

  • Je me souviens des clochettes qu’il fallait agiter aux moments adéquats de la messe, des burettes qu’il fallait amener à l’autel, des prières en latin qui ne m’aidèrent pas dans mes études, des vêtements blancs qu’il fallait enfiler. Le meilleur souvenir est celui du préambule à la messe : nous montions sur une mezzanine de l’église pour annoncer la messe ; il fallait du temps et des gros efforts pour mettre en branle, en tirant sur une corde, la grosse cloche ; mais, quand elle était lancée, quel plaisir de se laisser soulever vers le plafond avec la corde, à chaque va et vient, et aussi du catéchisme qui donnait lieu à de franches rigolades et à des chahuts contre le curé qui était sourd.
  • Ce curé était plus passionné par la politique que par la propagation de la foi. Il pilotait pour les municipales une liste de droite opposée à celle de mon grand-père, maire radical socialiste. Il faut dire que les messes n’étaient fréquentées que par 3 ou 4 vieilles bigotes ; les Creusois ne viennent à la messe qu’aux Rameaux pour faire bénir des buis qu’ils mettent dans leur maison et leurs champs et aussi à la Toussaint, fête des morts. Ces cultes sont plus une persistance des cultes païens et une récupération qu’une pratique chrétienne pour laquelle Noël et Pâques sont les fêtes fondamentales. Une bonne partie des hommes ne rentre pas à l’église lors des enterrements. Je n’ai assisté à une messe de minuit qu’une fois avec le troisième de mes curés
  • Le deuxième curé était totalement différent. Il était en attente, attente d’une promotion dans une paroisse « supérieure », avec une bourgeoisie catholique, avec les notables d’une ville. Il rêvait d’être le curé des salons ; le curé des cérémonies spectacles et il s’y préparait. La messe de minuit qu’il réalisa était une répétition préalable, une avant première de théâtre. Sa mère le manageait, préparait son ascension. Elle dirigeait tout, et même la messe ; c’était un peu comique. Je me demande si ce n’est pas elle qui l’avait décidé à devenir curé et le garant d’une ascension sociale commune. Je crois qu’il a réussi !
  • Le troisème curé le fut pendant la guerre d’Algérie. Il était d’accord avec moi sur la nécessité d’une Algérie indépendante, contre les tortures. C’était une sorte de prêtre ouvrier ou plutôt de prêtre paysan, car ce sont évidemment les paysans qu’il aidait. Il me raconta que le département creusois était le plus déchristianisé de France. Dans un classement fait avec des critères objectifs : participation aux cultes, baptêmes et autres sacrements, denier du culte, entrées dans les séminaires, etc. notre département était le dernier loin derrière l’avant dernier. La Creuse est pour l’église une terre de mission et j’ai vu venir une semaine entière une équipe de missionnaires.
  • Je pense que cette particularité s’explique de plusieurs façons : la religion chrétienne a réussi à intégrer les cultes païens, mais n’a pas réussi à prendre la domination ! De nombreux paysans creusois sont venus travailler comme maçons dans le Paris haussmannien et, déracinés, ont découvert les idées socialistes ou libertaires qui ont trouvé un terrain favorable dans des milieux pauvres ; donc les combats anticléricaux ont été ici fort virulents à partir de 1905
  • La déchristianisation a été, du moins en Creuse, mieux réussie par les laïcs que par les communistes en URSS : il y avait un musée de l’athéisme à Leningrad, toutes les églises étaient fermées. Mais lors d’un voyage, nous avons vu des femmes se signer furtivement devant des églises fermées et nos accompagnateurs communistes nous expliquaient que cela était dû aux babouchkas (les grand-mères). Le combat contre « l’opium du peuple » était là imposé de l’extérieur, sans correspondance interne dans la religion. Je ne résiste pas au plaisir de vous raconter comment ces militants décrivaient les relations amoureuses soviétiques ; selon eux, les couples ne consommaient leurs relations amoureuses qu’après le mariage et, en attendant, ne pratiquaient pas la masturbation ! Pas de prostitution bien évidemment !! En comparaison les chrétiens ou les athées seraient-ils donc des débauchés ?
  • En 2015 il n’y a plus de curé dans ce bourg, comme dans énormément de communes. La belle église du douzième siècle se dégrade, à l’intérieur. C’est la commune qui possède l’église et s’occupe de l’extérieur mais ce doit être l’évêché qui est responsable de l’intérieur qui ne sert plus que pour quelques enterrements !. Les curés creusois sont en charge de 6 ou 7 paroisses et les cérémonies mortuaires ou les mariages sont assumés par des groupes de dames chrétiennes. Petite revanche des femmes. Mais celles-ci n‘ont pas de titre officiel, ne peuvent pas donner les sacrements : la communion, la confession et le pardon des péchés, l’extrême-onction !
  • Le célibat des prêtres sera t-il un jour supprimé et l’égalité femmes-hommes admises par les religions ?