* Sophie : Que se passe t-il dans le PSU en ce début de la décennie 1970 ?

* Guy:C’est en fait le début de la décroissance après le doublement des effectifs post 68. Et une première scission partielle. Le courant maoïste Gauche Révolutionnaire devient un parti autonome à l’intérieur du PSU, avec local, journal, direction propre et fusionne les 4 fédérations de la région parisienne pour disposer d’un pôle plus puissant que le bureau national de Rocard. Des départs s’organisent d’autre part vers la Ligue Communiste de Krivine.

  • Notre ami Michel Mousel, devenu secrétaire de la fédération de Paris décide de réagir. Il dissout la fédération et organise une réadhésion, avec engagement de respecter les décisions du congrès national ! Je n’ai pas assisté aux incidents violents de cette période. Mais le PSU a perdu alors nombre de militants ouvriers ou paysans, par solidarité avec les maoïstes.
  • Notre section n’a pas souffert de cet épisode car nous n’avions que 2 maoïstes, étudiants et peu actifs ! Et la lutte des Lip nous a redonné de l’enthousiasme et du dynamisme. Je te l’ai raconté la dernière fois. Nous retrouverons les scissionnistes organisés dans la GOP, Gauche Ouvrière et Paysanne dans la lutte des Lip et dans celle du Larzac. J’irai avec Agnès sur le plateau du Larzac lors du grand rassemblement de l’été

* Sophie : Tu as fait allusion à la solidité de ta section locale. Elle tenait à quoi ?

* Guy : Au climat et donc au rôle de quelques personnes clés dont Roger Bournazel. Il a été un rouage essentiel pour la vie de notre section. Comme trésorier, il savait remarquablement relancer les « négligents », convaincre celles et ceux qui hésitaient à adhérer ou à réadhérer. Il savait maintenir des liens humains conviviaux avec chacunE.

  • Roger était né en 1927 sur la « zone », « cet univers de bicoques, de guinguettes, de chiffonniers », où se réfugiaient les couches populaires exclues du Paris intra-muros. Cette zone située derrière les anciennes « Fortifs » est maintenant l’autoroute urbaine appelée « le Périphérique ».
  • De racines paysannes (plateau de Millevaches dans le Limousin), de famille modeste (son père travaillait dans le bâtiment), enfant avide de s’instruire, il le fit en lisant tout le dictionnaire Larousse. La fréquentation des Auberges de Jeunesse sera un élément important de sa formation. L’ascenseur social fonctionnait à cette époque et il deviendra inspecteur central aux PTT.
  • Il tenait de façon rigoureuse son fichier. J’ai conservé son classeur où sont encastrées de petites fiches en forme de T qui détaillent : nom, prénom, adresse, téléphone, profession, appartenance syndicale, date de naissance, date d’adhésion. Il était tellement méthodique et rigoureux que certains se sont demandé s’il ne faisait pas partie des Renseignements Généraux ! Dans cette période, nous avions tendance à voir partout des infiltrations ! Mais, avec Raymond Marcellin, ministre de l’intérieur de mai 1968 à février 1974, obsédé par le danger des groupes révolutionnaires, nous avions quelques raisons de redouter cela

* Sophie : Peux-tu me donner des exemples pour étayer cette info ?

* Guy : C’est Michel Rocard lui-même, secrétaire national à l’époque, qui m’a raconté les faits suivants. Le siège national de la rue Borromée était gardé la nuit par un camarade qui entretenait le chauffage. Une nuit, celui-ci entend du bruit au premier étage. Il monte. Et, très vite, il est ceinturé par plusieurs gaillards et enchaîné dans les toilettes. Le lendemain ce camarade est libéré par la femme de ménage. Il n’y avait pas eu effraction.

  • Rocard, qui avait conservé des relations dans l’appareil d’Etat, se renseigne et apprend que les individus étaient des inspecteurs des Renseignements Généraux (RG), qu’ils étaient venus par le toit pour étudier les fichiers. Il apprend que Marcellin s’était fixé l’objectif de pouvoir arrêter dans les vingt- quatre heures tous les cadres du PSU, depuis l’échelon national jusqu’à celui des grosses sections. Cela supposait que l’on connaisse, pour plus d’un millier de personnes, toutes leurs habitudes, leurs fréquentations, les détails de leur vie privée !
  • Le PSU était classé parmi les groupes révolutionnaires dangereux et l’histoire du responsable du service d’ordre national de l’après mai 68 qui fut un temps un inspecteur des RG infiltré est bien connue ! Cet inspecteur avait alors une double vie et avait noué de vrais et sincères liens d’amitié avec des membres du PSU ; si bien que, lorsqu’il fut démasqué, il connut paraît-il une période dépressive. Il fut ensuite nommé, par le gouvernement PS, commissaire dans des communes de banlieue.

* Sophie : Revenons à Roger si tu as encore des choses à raconter.

* Guy : Le rationalisme a été une de ses qualités dominantes et explique sa passion pour l’espéranto. Il voyageait beaucoup et l’espéranto lui permettait, disait-il, des échanges avec les ouvriers russes, chinois, japonais, etc.

  • Il aimait les plaisanteries, les jeux de mots, les calembours et c’est lui qui nous a proposé le slogan d’une de nos premières affiches en sérigraphie : « La finance est adroite – les travailleurs Paient et Suent » PSU 20e section. Il aimait, donner l’impression de savoir tout sur tous et toutes. C’était un peu vrai !
  • Débonnaire, bon vivant, jovial, peu d’adhérent(e)s l’auraient classé dans la catégorie « intellectuels ». Pourtant il était fort cultivé, grand lecteur de Castoriadis dont la pensée est complexe ! .De même son attitude consensuelle ne laissait pas soupçonner ses opinions radicales en politique étrangère par exemple, ni son courage dans les manifestations et dans la mise en pratique personnelle de ses idées.
  • Un exemple : Roger, inspecteur d’un bureau de poste proche de l’Opéra, trouvait stupide, irrationnel d’obliger les employés à rester dans le bureau lorsque, en fin de journée, il n’y avait plus rien à faire. Il les autorisait donc à rentrer chez eux. C’est à cause de cela qu’il fut soumis, toute une journée, à une pénible enquête de l’inspection générale de la Poste. Il en fut profondément blessé !
  • Nous l’avons vu, Paul Oriol et moi, juste avant sa mort, dans le service des réanimations de l’hôpital Tenon. Il luttait avec ou contre les machines ? Terrible souvenir !

* Sophie : Tu as eu beaucoup de relations avec les militants du PCF. Tu es allé en Israël voir les structures communisantes des kibboutz ! N’as-tu jamais été tenté par une adhésion au PC ?

* Guy ; Non jamais ! A cause du stalinisme, même quand le PC français y a renoncé ; mais il reste des traces. Par contre j’ai fait un voyage en URSS, un peu après la mort de Staline en 1953, mais avant 1961, puisqu’il était encore dans le mausolée à côté de Lénine. Je l’ai vu et il avait le look d’un pépère bien gentil, bienveillant ! C’est France URSS qui organisait le voyage, donc avec des militants communistes ou des sympathisants. Je voulais voir sur place le « modèle » !

  • C’était pendant les vacances scolaires de Pâques. Nous fûmes victimes d’un froid sibérien. La Néva, à Leningrad (Saint Pétersburg maintenant), charriait d’énormes glaçons et le Kremlin était couvert de neige, aspergée par un produit jaune qui donnait un charme supplémentaire. Pour tenir le coup, achat obligatoire d’une belle chapka !
  • Le voyage en train a été fort long et également l’attente à la frontière. Je crois que cela était dû au changement de l’écartement des rails ? Spectacle ahurissant : des soldats postés tous les 2 mètres face à nos wagons, encadrés par des officiers. Photos interdites. Mais nous sommes aux fenêtres. Beaucoup de soldats titubent, saouls, sans que les officiers bronchent le moins du monde ! Images peu positives, confirmées par la fin du trajet : car nos « amis » russes insistaient pour nous emmener boire un verre de vodka au wagon-restaurant.
  • Une autre occasion nous montra l’importance de l’alcoolisme. Pour nous prouver que l’URSS est un grand pays, égal des pays occidentaux, on nous fait visiter une centrale électrique ultramoderne. Malheureusement, dans le hall d’entrée, figurent deux grands panneaux. L’un glorifie les stakhanovistes : parfait, classique ! Mais le second critique et ridiculise les alcooliques de l’usine ! Même dans cette usine de pointe l’alcoolisme est donc un drame ?

* Sophie : Avec quel jugement global es-tu revenu ? Sur ce que le régime a pu apporter par rapport aux tsars d’avant la révolution ?

* Guy : Les personnes rencontrées nous ont dit beaucoup de bien du secteur santé. Sur le plan de l’enseignement, de la culture pour l’ensemble du peuple, le bilan me semble fort positif. Les disques de musique sont peu chers et les livres également, je crois. Je me souviens encore de ce monsieur qui lisait un livre sur un banc d’un parc malgré le froid polaire.

  • Par contre, la lutte contre la religion, opium du peuple, semble un échec total. A Leningrad, il y avait un musée de l’athéisme, que je n’ai pas visité; mais mes camarades qui l’ont visité ont surtout vu une critique sévère de la papauté. Les églises étaient toutes fermées et nous avons vu des femmes se signer furtivement devant les portes. Nos accompagnateurs-trices nous ont dit que les jeunes étaient intoxiqués, sur le plan religieux, par leurs babouchkas (les grands-mères).
  • Avec ces mêmes personnes le débat sur la sexualité fut invraisemblable. Pour elles, les Soviétiques arrivaient au mariage sans expériences sexuelles préalables, ne se masturbaient pas, et il n’existait pas de prostitution !!
  • Le plus décevant fut l’impossibilité d’avoir la moindre ébauche de débat un peu théorique sur le communisme, la nouvelle société à construire. Les personnes qui nous encadraient devaient pourtant être membres du parti ?Le débat glissait toujours, immédiatement, sur le moment où l’économie soviétique arriverait à égalité avec les Etats-Unis !
  • La fascination pour notre mode de vie, pour les crayons Bic, les vêtements en nylon, etc. était incroyable ! Plusieurs voyageurs se sont sentis obligés de donner leurs chaussettes, leurs slips en nylon, parfois même un peu sales ; donnés ou échangés contre des insignes, des badges ! L’Europe intéressait fort peu et De Gaulle était un grand homme, car il prenait des distances avec le pacte atlantique ; alors que nous étions toutes et tous contre lui ! nous ne voulions pas polémiquer.
  • Le Kremlin, la Place Rouge, les églises à bulbe sont magnifiques. Leningrad est par contre moins originale, avec une architecture italienne ou française. Le musée de l’Ermitage est passionnant. Je voulais photographier une pittoresque isba et je fus stoppé par un Russe qui me conseilla de photographier plutôt un grand immeuble moderne dont l’architecture était « stalinienne », comme la gigantesque université de Moscou. Le métro est également impressionnant.
  • En résumé, ce voyage ne m’a pas donné envie de devenir communiste comme le « modèle » soviétique !