* Sophie : Parmi les disparus, il doit y en avoir que tu pleures vraiment ?

* Guy : Pour celle qui croit au ciel et pour celui qui n’y croit pas, la mort totale, absolue, ça n’existe pas ! Tant que vivent parents proches ou lointains, enfants, petits enfants, amiEs – tant que vivent photos, films, vidéos – tant que tournent en boucles dans les mémoires, dans les cœurs, les souvenirs d’une attitude familière, d’une explosion de rires, d’une colère mémorable, d’une fête familiale, d’un voyage ou d’une lutte commune – la vie sera encore là, impalpable, immatérielle, mais bien réelle !

  • Il y a plusieurs personnes décédées que j’ai bien aimées et que je me dois d’évoquer en quelques phrases. Je t’ai déjà parlé de Roger Bournazel et Raymond Georgein au niveau local, de Marc Heurgon au niveau national ! C’est avec émotion que je vais te lire ce texte que j’ai écrit, car Jean-Claude c’est plus de vingt années de ma vie, de moments riches, sur de multiples plans. Nous avons mangé ensemble, discuté ensemble, milité ensemble. Il est venu une semaine dans ma maison creusoise ; c’était un personnage peu classique !
  • Jean-Claude Chastaing est né dans la zone, quartier bidonville, situé là où est maintenant le périphérique. Sa mère était lavandière dans une laverie du quartier Réunion. Son père était ouvrier, mais il était alcoolique et battait sa femme. Période déstabilisante ; mais l’enfant vécut pire : en revenant de l’école, un jour, il trouva son père pendu ! Il refusa l’école primaire et l’apprentissage de l’orthographe, mais dut acquérir une sorte de vernis, d’imagination et d’envie de poésie. Il lui aurait fallu l’école Vitruve dont nous reparlerons peut-être ?
  • Il m’a dit avoir fait les 400 coups avec sa bande de copains et qu’il avait arrêté juste avant de basculer dans la délinquance qui conduit à la prison. Je ne sais pourquoi, vers 1968, il décide de devenir prêtre, prêtre ouvrier sans doute, et entre au séminaire. Il y complète sa formation intellectuelle et enracine l’éthique qui dominera sa vie. Mais il n’a jamais accepté longtemps la soumission à une organisation amie ou à des très proches. Il rompt avec le séminaire.
  • Il travaille ensuite, comme ouvrier, dans la grande entreprise Sopelem du Boulevard Davout, qui fabrique d’énormes lentilles, pour les Russes en particulier.
  • Il s’engage dans la CFDT et continue ainsi sa formation intellectuelle. Puis il adhère au PSU où je fais sa connaissance et deviens son ami. Il est assidu aux réunions de notre commission Entreprises, devient ami d’Agnès, de Laurence et d’André. Je me souviens d’une sortie guitare avec lui, André, Michel, Agnès. C’est l’époque où il compose sur moi un tango, qu’il m’a joué à la guitare, à la sortie du métro Gambetta. Il m’y ridiculisait gentiment sur un thème inattendu ! Tu ne devinerais pas cette négligence de ma part qui ne m’est pas exceptionnelle, mais dont je ne suis pas fier !
  • Il se met à écrire des poèmes vraiment beaux et originaux, bourrés de fautes d’orthographe. J’en corrigerai plusieurs et des fascicules seront même édités. Je les ai et il faudrait que je relise avec le recul ! La couverture de « Cheval d’attaque » figure sur google quand tu cliques Chastaing, avec des reproductions de quelques unes de ses photos ou toiles ! Puis il se met à la peinture. Ses œuvres sont torturées, sombres ! Elles ont été exposées dans un magasin ami. Plus tard il se mettra, avec passion, à la photographie. Dans l’obscurité, pendant le tirage, il se livre à des manipulations, des brûlages pour obtenir des œuvres d’art. Elles figureront, parmi d’autres, dans une exposition de photos d’art au carré de Baudouin !
  • Jean-Claude a été embauché par une amie du PSU, pour l’accueil des enfants dans un centre médico-social. C’est là qu’il commence à improviser des contes. Il approfondira, lira des contes connus de plusieurs pays qu’il adaptera. Il les récitera dans plusieurs écoles ; avec un grand succès.
  • Il ne supportait pas la foule, un vrai agoraphobe. Pour aller à Saint Mandé travailler, il ne pouvait prendre le métro. Il allait à pied. Lors d’une réunion publique du PSU il a fait une crise que nous avons crue épileptique. Il a suivi de multiples séances de psychothérapie ou de psychanalyse et nous avons fini par le trouver apaisé, décontracté, porteur d’un humour décapant.
  • Il a été président d’une association du quartier : l’ASPIC du Ménilmuche, membre à sa fondation du jardin partagé « Leroy sème ». Mais, dans les deux cas, il rompra lorsque quelque chose lui déplaira ;
  • Jean-Claude a fait don de son corps à la science ; donc ses amiEs n’ont pu se retrouver lors d’un enterrement ! Il mérite que nous gardions un souvenir affectueux et une vraie admiration pour son parcours dans plusieurs domaines dont celui de l’art.

* Sophie : D’autres hommages ? D’autres découvertes de personnalités ?

* Guy : Je vais te parler de Laurent Zundel. Laurent, pour nous c’est, ce sera : une présence rassurante, une « force tranquille », une passion des échanges et des partages, un dosage subtil entre la joie et la gravité, la lueur malicieuse et tendre du regard, éclairant une barbe rousse.

  • C’est aussi l’atelier de sérigraphie, pour le démarrage, dans son local de photographe, avec le grand peintre Georgein, puis chez lui, l’organisation du stand de la section vingtième du PSU lors des fêtes de La Courneuve, les manifs joyeuse ou tendues, les débats orageux qui ne compromettent pas les amitiés, les trajets hebdomadaires pour ramener du siège national du PSU, dans le 15e, une petite centaine du journal « Tribune Socialiste » que nous allions vendre au porte à porte ou aux sorties de métros. Ce sont de multiples et riches souvenirs. Il nous a beaucoup manqué quand il est parti à Nîmes, sur le plan de la convivialité comme celui de l’organisation !
  • Il est parti ensuite à Nîmes et nous sommes allés le voir plusieurs fois, de vraies fêtes dans son jardin. Laurence Mousel, Jean Biscarros ont des souvenirs identiques et sans doute plus nombreux et intenses. Laurent, tu vis encore dans nos mémoires ! * * * Merci pour tout ce que tu nous as apporté ! Je viens vraiment de le revoir avec précision en racontant ! J’ai revécu des scènes ou des dialogues. Merci !

* Sophie : Tu peux continuer. Les gens modestes font partie de l’histoire.

* Guy : Encore un de mes écrits. Suzanne Dupré est morte le 11 mai 2005 à l’âge de 84 ans. Nous n’étions que 3 ou 4 à la connaître, car, depuis 20 ans elle était bloquée dans des hôpitaux par un accident vasculaire cérébral et une rechute, chez elle, puis dans des maisons de retraite médicalisées. A chaque fois, grâce à une énergie extraordinaire, elle retrouva peu à peu l’usage de la parole et une certaine mobilité.

  • Elle lisait attentivement tous les documents envoyés par les Verts, posait des questions sur la vie politique et avait toute sa lucidité souriante, généreuse. Noël Mamère avait visité sa maison de retraite et parlé avec elle.
  • - Ouvrière dès 17 ans, elle sera militante de la JOC (jeunesse ouvrière chrétienne), puis de l’Action Catholique Ouvrière
  • - Résistante dès ses 20 ans, en Corrèze. Cette période sera pour elle celle de multiples rencontres avec des militants de tous horizons, passion dominante de toute sa vie.
  • - Après la reprise d’une formation sociale, elle travaillera dans ce secteur (travailleuse familiale, puis à ANPE handicapés). * * Elle participera, dans le cadre de la Mission de France, à la création d’équipes de femmes proches des moins favorisés de la vie. Elle y aura des responsabilités, tout en s’engageant activement à la CFDT et, politiquement, au PSU puis chez les Verts. C’est la grande période des prêtres ouvriers qui seront souvent au PSU, à la CGT puis au PC.
  • Elle a offert son corps à la science. Nous étions trois à la cérémonie d’hommage, dans l’église de Saint Germain de Charonne. Bien tristes. Elle représente parfaitement ce que fut toute une génération de chrétiens de gauche.

* Sophie : Quel était le paysage politique de l’époque, décennie 1970-1980, dans le 20e arrondissement de Pari ?

* Guy : le PCF est la force politique dominante à tous égards : environ 2000 adhérentEs, des militantEs encore imprégnés de stalinisme. Ils considèrent que beaucoup de murs sont leur propriété pour l’affichage et vendent l’Huma presque partout. Ils sont même dominants sur le plan électoral et arracheront, entre 1973 et 1978, les deux députés du 20e (Daniel Dalbéra et Lucien Villa). Le second sera encore député de l’arrondissement entre avril 1978 et mai 1981. En 1971, Henri Meillat du PC qui conduisait la liste commune avec le PS serait devenu maire de l’arrondissement si la loi avait été celle d’aujourd’hui. A cette époque, avant 1977, les maires d’arrondissement n’étaient pas élus mais nommés. Il n’y avait pas de maire de Paris ! Vieille méfiance vis à vis du peuple de Paris et ses poussées révolutionnaires !

  • Le PS est quasi inexistant, refuge de vieux notables dépassés. C’est Michel Charzat qui, envoyé en mission par le CERES de Chevènement, depuis son 16e arrondissement, développe peu à peu la section PS, avec une poigne de fer, en particulier contre les rocardiens (Alain Riou nous racontera cela). Il est élu député en 1981,réélu en 1986 et en 1988 ; puis devient maire de l’arrondissement en 1995 (pour deux mandatures).
  • La droite n’existe pas sur le plan militant. Mais Didier Bariani pour l’UDF sera maire de l’arrondissement entre 1983 et 1995. Elle contrôlait alors tous les arrondissements de Paris ! Jacques Chirac, puis Tibéri étaient maires de Paris.
  • La LCR n’a que des cellules d’entreprises, mais pas de structures locales. Pourtant leur journal Rouge est vendu chaque dimanche Boulevard Mortier, comme le journal de Lutte Ouvrière.

* Sophie : As-tu été candidat à des élections ? Et avec quels résultats ?__

* Guy : Oui, à deux ou trois reprises, car il n’y avait pas foule__ pour assumer ces tâches difficiles ! Je n’en garde pas de nombreux souvenirs et je ne trouve pas d’anecdotes intéressantes. Je conserve une magnifique affiche dessinée par Claude Picart, en couleurs.

  • Nous n’avons jamais pensé que je serais député et le rêve était de dépasser les 5 % pour être bien remboursé !
  • Aux législatives de mars 1973 le PSU connut une régression par rapport à 1968, à cause du Programme commun, avec 1,95 % de voix et des scores honorables pour Rocard, Yves Le Foll à Saint Brieuc et Roger Prat à Morlaix dans le Finistère. Je pense que j’ai été candidat dans mon quartier. Le socialiste Michel Charzat me reprocha plusieurs fois de l’avoir empêché d’être élu cette fois-là, car ma présence l’aurait fait passer derrière le communiste et l’obliger à se désister. Vingt après il ruminait encore cela !
  • En mars 1978, j’ai été candidat sur une liste « Ecologie et autogestion » pour le Front autogestionnaire et le MAN (mouvement pour une alternative non violente), avec Janine Duyts comme suppléante (institutrice laïque qui vécut difficilement sa fonction dans une commune fort cléricale et sectaire de Bretagne). Puis, en juin 1981 je fus candidat pour « Alternative 81-PSU » ; Arlette Zilberg étant ma suppléante. François Mitterrand venait d’être élu président de la République. Notre tract de campagne écrivait :
  • « Pour obtenir le possible, tout le possible, à l’intérieur de la nouvelle majorité populaire, il faut que : S’AFFIRME UNE FORCE AUTOGESTIONNAIRE ».
  • Je ne trouve plus le score atteint ; mais le pari est raté !