* Sophie : La décennie des années 1970 a été riche de multiples événements internationaux. Lesquels ont particulièrement intéressé votre groupe et le PSU dans son ensemble ?

* Guy : Je n’ai pas l’impression que le PSU se soit beaucoup intéressé à la dictature des colonels grecs entre 1967 et 1974, car c’est une période où nous avions d’autres priorités, en interne et même en France plus généralement !

  • Tu te doutes bien que nous avons suivi avec une passion solidaire, en septembre 1970, la tentative de Salvador Allende d’installer démocratiquement au Chili un régime socialiste, puis nous fûmes bien évidemment indignés, en septembre 1973, par le coup d’état du général Augusto Pinochet et par ses tortures, ses massacres. Le PSU a aidé, avec ses faibles moyens, les militantEs du Chili qui arrivaient à venir en France.
  • Nous avons beaucoup collé des affiches contre le général Franco et avons été horrifiés par la strangulation par garrot du militant catalan Puig Antich’. Un débat passionné opposa celles et ceux qui défendaient le boycott du tourisme espagnol et d’autres qui affirmaient qu’au contraire il fallait aller soutenir les antifascistes.
  • Un événement extraordinaire nous a passionnés en avril 1974 : le coup d’état, au Portugal, de militaires radicalisés par les guerres coloniales, dans lesquelles leurs sacrifices ne servent à rien. Notre passion pour le Portugal s’est prolongée pendant les deux années qui ont suivi, et ce qui a été appelé Révolution des Œillets. Claude Picart nous a dessiné une affiche lyrique en couleurs tirée en sérigraphie et nous avons réalisé avec ce dessin une grande fresque de 4 mètres sur 3 environ qui a entouré notre stand de la fête PSU de La Courneuve en juin 1974. A cette occasion nous avons vendu du bon porto, Sandeman, je crois. Le célèbre chanteur Zeca Afonso dont la chanson "Grandola" avait donné le signal de la révolte décisive des militaires est venu chanter et a été hébergé le soir par notre section. Il avait laissé la parole à un capitaine porte-parole du Mouvement des Forces Armées qui avait souhaité l’extension du mouvement à d’autres pays européens. Des adhérentEs sont allés sur place découvrir la révolution portugaise.

* Sophie : Fais-moi un peu l’historique de cette Révolution des Œillets, que je ne connais pas.

  • Guy : J’ai relu sur Wikipédia et dans le livre de Ravenel, pour revitaliser ma mémoire sur le déroulement des faits avant de t’en parler. Le Portugal était depuis 1933 une dictature fasciste fondée par Salazar, particulièrement brutale. Comme d’autres pays européens Salazar devait faire face au grand mouvement de décolonisation : il menait des guerres « impossibles » contre l’Angola, le Mozambique, la Guinée Bissau, le Cap Vert en Afrique ; c’était l’impasse malgré le nombre important de morts. Donc un « mouvement des capitaines » aboutit en septembre 1973 à la création du MFA, Mouvement des Forces Armées, plus corporatiste que politique au départ.
  • La compétition du MFA avec le général Spinola conduit le MFA à se politiser. Et le 25 avril1974, la diffusion par la télé de Grândola, chanson interdite de José Alfonso donne aux soldats le signal du coup d’état facilement réussi. Une Junte de Salut National avec Spinola propose la politique des trois D : « démocratiser, décoloniser, développer ». Les militaires veulent un régime démocratique, des élections libres, changer les structures politiquement, économiquement, socialement, culturellement.
  • Au mépris des consignes militaires, le peuple de Lisbonne envahit les rues et en particulier le marché aux fleurs ; les soldats mettent dans le canon de leur fusil des œillets rouges ou blancs. C’est pour cela que cette Révolution est baptisée Révolution des Œillets. La seule résistance vint de la police politique, la Pide, qui provoqua 4 morts, les seules victimes de la Révolution ! * * Les dirigeants des partis socialistes et communistes reviennent au pays et prendront peu à peu une grande importance.
  • Donc le bilan est que la révolution socialiste n’aura pas lieu ; mais le Portugal deviendra un pays démocratique, comme l’Espagne car Franco meurt dans cette période. On peut même dire que le Portugal initie une démarche vers la démocratie qui s’étendra à l’Espagne, à la Grèce, à l’Amérique latine et plus tard aux pays de l’Est.

* Sophie : Et ton PSU par rapport à cette Révolution des Œillets,

* Guy : Le 16 avril 1975, le PSU rassemble 4000 personnes à la Mutualité où prennent la parole des représentants du MFA et du MES, le parti portugais équivalent du PSU. Salle debout, poing levé à plusieurs reprises. Tout un débat aura lieu dans le PSU sur l’attitude par rapport au PC et le risque de bonapartisme par rapport au MFA.

  • Pour proposer une réunion des forces socialistes et anti-impérialistes le PSU débat dans son conseil national de décembre 1975 où il décide « internationalisme, Oui mais création d’une Internationale, Non ! » Il y fixe également une position précise sur le problème palestinien que l’on peut résumer à : recherche de la création de deux Etats, palestinien et israélien unis dans un ensemble démocratique et laïque sous forme fédérale ou confédérale.
  • Le PSU participera, au Portugal, avec toutes les autres forces de gauche au colloque : « Socialisme et Europe du Sud ».
  • Il est confronté à la question corse, avec l’occupation de la cave d’Aléria par le groupe Edmond Siméoni et la répression brutale qui suit. La fédération corse du PSU publie un document à la fois historique, théorique et politique et essaie de fixer une perspective constructive. Il n’empêchera pas la dérive du nationalisme corse.

* Sophie : Tu as parlé des fêtes de la Courneuve. Donne-moi quelques détails sur ces fêtes.

* Guy : Ces fêtes étaient des périodes de militantisme intense. Il fallait organiser au niveau national le plateau des artistes et il fut toujours composé d’artistes fort connus. Au niveau de la base, en particulier pour notre section locale, il fallait mobiliser le plus possible, en distribuant des tracts, en collant les grandes, originales, magnifiques affiches nationales, en invitant les lecteurs-lectrices de notre journal : les Pavés de la Commune, en préparant notre stand 20e.

  • Ensuite, quelques jours avant la fête, il fallait que quelques militantEs disponibles aillent sur place installer les clôtures qui isolaient le lieu de la fête et les stands. Le samedi et le dimanche étaient les jours de mobilisation maximale car il fallait une équipe pour le stand, une rotation de personnes pour la vente des billets à l’entrée, une autre pour garder le lieu où était centralisé le fric et où les artistes venaient se faire payer ; plus une équipe pour surveiller la clôture et empêcher les resquilleurs de passer en dessous. Après la fête, il fallait pendant deux ou trois jours une équipe pour nettoyer les lieux, enlever stands et clôture. Tu vois le boulot.
  • Contrairement aux fêtes de l’Huma, il n’y avait aucune participation commerciale, aucune publicité ; donc l’équilibre financier devait être assuré par le public ! Elles avaient lieu en juin, période où, normalement, il fait beau. Malheureusement, une fois, il a plu tout le samedi et tout le dimanche ; nous avons pataugé dans la boue et… le public est trop peu venu ! Donc catastrophe financière ; une seule artiste a renoncé à être payée. Fin des fêtes du PSU !
  • Ces fêtes représentent un précieux souvenir pour celles et ceux qui les ont vécues et même pour les personnes venues qui n’étaient pas alors adhérentes ! Le PSU a même organisé deux ou trois fois un festival du cinéma à Paris, mais pas avec le même succès.

* Sophie : les années 1973 et 1974 semblent te laisser de bons souvenirs

* Guy : Oui : elles résument bien le foisonnement militant de l’époque et aussi réussites et échecs du PSU. Echecs électoraux (en mars 1973 le PSU perd la moitié de ses électeurs de 1968 à case du vote utile pour le programme commun) et visions anticipatrices, audacieuses, à travers l’autogestion et l’écologie, avec la lutte passionnante des Lip (un rassemblement appelé CLAS, comité de liaison pour l’autogestion socialiste, autour du PSU, de l’AMR des CIC et d’Objectif socialiste de Robert Buron aurait dû se réunir en mai 73 si les élections n’avaient pas cassé cette dynamique). La fête PSU de la Courneuve réunit, fin mai 1973, 40 000 personnes autour de Léo Ferré, Mouloudji, Gilles Vignault, etc. personnes qui ont débattu sur la croissance, l’armée, l’écologie.

  • En même temps que la lutte pour les Lip, nous avons dû militer, avec le MLAC, pour le droit à l’avortement, avec les lycéens contre la loi Debré, avec les OS et les travailleurs immigrés (je t’ai raconté la grève de la faim dans la crypte de l’église de Ménilmontant), avec les paysans du Larzac. 1973, Quelle année !
  • J’ai découvert dans l’excellent livre de Bernard Ravenel sur le PSU que février1974 avait connu un événement extraordinaire : l’occupation de la Banque de France, qui durera neuf semaines, et l’occupation de plusieurs autres banques. Jamais cela ne s’était produit même pendant la Commune de Paris. Je me souviens maintenant que le PSU 20e a occupé pendant un bon moment le siège de la BNP situé place Gambetta, siège central pour l’arrondissement. J’ai couché sur place dans un duvet sur un lit de camp.
  • Je ne me rappelle pas les détails de cette lutte. Au début, j’ai cru que cet effacement psychologique venait d’une sorte de combat de l’époque pour le pouvoir sur la section locale avec une militante de l’AMR. Ce groupe avait une certaine implantation dans les banques. Un de leurs dirigeants Gilbert Marquis siégeait au bureau national et était membre de notre section où il n’était pas omniprésent. Il était assez sympathique mais nous donnait souvent des leçons de radicalité. Quand l’AMR est sortie du PSU ( pratiquant sa théorie de l’entrisme, donc partie avec quelques militants formés par le PSU) Gilbert a commencé par décevoir la LCR 20e puis a eu un parcours plus réaliste que révolutionnaire, plus modéré que le nôtre, en particulier sur le PS. Il a toujours gardé des liens amicaux avec les dirigeants du FLN algérien, en disgrâce et exilés en Europe.
  • L’AMR avait été une composante du mouvement « pieds rouges » venu aider l’Algérie indépendante. L’AMR a voulu aider Ben Bella à installer l’autogestion. Mais ils ont négligé le poids du passé, des traditions historiques, sur la paysannerie algérienne ; d’où leur échec. C’est une leçon intéressante : il ne faut pas oublier les idéologies enracinées dans l’histoire, commencer par du pratique, du simple, du concret amorçant des évoluions, tout en gardant le fil rouge de la vision théorique, philosophique, politique. Les dirigeants de l’AMR : Michel Raptis, grec, dit Pablo, Gilbert Marquis, Michel Fiant qui a suivi un autre parcours que Gilbert (aux Alternatifs) sont morts. Un de leurs militants au moins est maintenant membre des Verts. Je ne connais pas de groupe qui se réclame de cette paternité.
  • Tu vois : je suis sorti du conflit des banques pour te parler de l’Amr et de quelques mauvais souvenirs !