* Sophie : Comment se passe la participation du PSU au gouvernement ? Et quel bilan fais-tu, avec le recul ?

* Guy : D’abord, deux militants qui ont fait partie de notre section du 20e font partie du cabinet de la secrétaire d’état Huguette Bouchardeau : Michel Mousel qui est son directeur de cabinet et jouera un rôle déterminant, et Xavier Bolze, chargé des relations avec le parlement ; difficiles car le PSU n’avait pas de députés et il lui fallait passer par les députés PS. Xavier nous a raconté un épisode étonnant de la composition de l’équipe. Huguette voulait nommer dans son cabinet un universitaire reconnu comme un grand spécialiste de la nature. Malheureusement il n’était ni énarque, ni ancien d’une grande école ; et une règle, non écrite mais absolue, voulait que les cabinets ministériels soient totalement partagés entre les anciens de l’ENA, de Polytechnique, de Centrale, des Ponts et Chaussées, etc. Donc refus du Premier ministre et il fallut de longues discussions pour que cette nomination soit enfin acceptée ; une grande école obtint une compensation ailleurs ! Cette domination continue t’elle !

  • Je me souviens très bien que les débuts du ministère Bouchardeau furent « empoisonnés » par l’affaire Seveso, celle des fûts de dioxine, un polluant fort toxique et cancérigène qui, arrivés illégalement d’Italie, étaient dans des décharges.
  • Pour te parler de cette affaire et de sa date, je suis allé sur Wikipédia et j’y ai trouvé un véritable roman de science fiction qui justifie à 1000 % la nécessité du principe de précaution. Il faudrait ressortir cette affaire aujourd’hui. Elle commence le 10 juillet 1976 ; il y a seulement 40 ans. Ce jour-là, dans la plaine lombarde, quatre communes du voisinage de Seveso sont survolées par un nuage toxique. Il vient de l’explosion du réacteur surchauffé d’une usine chimique. Il n’existe pas de plan d’urgence, pas de données scientifiques ; on sait quand même qu’une des composantes du nuage a servi aux Américains dans la guerre de Viet Nam !
  • Les réactions seront lentes ! L’usine ne ferme vraiment que 8 jours plus tard ! Le 19 juillet, les laboratoires Hoffmann-Laroche annoncent enfin que le nuage contient de la dioxine. La vie continue quand même dans la zone contaminée jusqu’au 23 juillet, moment où le centre de recherches de Bâle affirme qu’il faut faire partir les personnes, détruire les maisons et enterrer l’usine ! Le 26 partent 225 habitantEs, puis 500 car la zone contaminée est plus grande. 193 personnes sont atteintes de chloracné (acné du à des produits chlorés) ; des dizaines d’animaux meurent ; les feuilles des arbres jaunissent.
  • Le bilan précis ne sera connu que 7 ans plus tard : 3300 morts d’animaux et 80 000 têtes de bétail abattues ! Par contre un seul homme mort : le directeur de l’usine, assassiné par une filiale des Brigades rouges italiennes ! En France, on déclare alors que 1250 sites sont « à risque », comme Seveso. La sécurité industrielle, la question des déchets, les contrôles, la transparence deviennent une priorité.
  • Il faudra que nous parlions de l’énorme catastrophe de Tchernobyl, en avril 1986, car là aussi sont en cause les questions de contrôle et de transparence. Les déchets qui restent radioactifs pendant des centaines, voire des milliers d’années. sont encore plus angoissants. A ce jour, des solutions satisfaisantes n’existent pas !

* Sophie : En quoi Huguette Bouchardeau fut-elle concernée, mobilisée concrètement par l’affaire Seveso ? Et puis, parle-moi des autres domaines de son activité.

* Guy : Par la recherche et la destruction des fûts Seveso, entrés illégalement, clandestinement sur notre territoire. L’émotion de la population est énorme :41 fûts auraient dû être incinérés à Bâle. Ils disparaissent à la frontière de Vintimille. Ils sont retrouvés dans l’Aisne, dans un abattoir désaffecté. Des boues de Seveso sont retrouvées dans le Bas-Rhin, dans la cour d’une ancienne prison où elles seraient encore. D’autres ont servi de remblais ou de terrasse d’été ! Enfin des fûts Seveso auraient été envoyés en Allemagne de l’Est ?

  • Enquêtes et solutions ont été délicates ! Tu vois combien le principe de précaution doit être vraiment appliqué ; C’est une belle démonstration !
  • Je ne garde pas de souvenirs précis sur mon vécu politique de cette époque car c’est la période où se multiplient mes ennuis de santé. Je découvre dans le livre de Bernard Ravenel que le bilan de Huguette Bouchardeau est loin d’être négligeable ! Les « contrats de rivières » associent désormais collectivités territoriales, riverains et usagers. Une loi de 1983 sur les enquêtes publiques concernant l’environnement « renforce l’indépendance et les attributions du commissaire enquêteur et accroît les pouvoirs des tribunaux administratifs pour prononcer les sursis à exécution », en particulier sur les plans d’occupation des sols. De même en juin 1984, une bonne loi sur la pêche protège les milieux aquatiques. Des rencontres ont lieu sur la chasse.
  • En juin 1985, c’est une première « écotaxe » sur la pollution atmosphérique (émissions de dioxyde de soufre) qui sera intégrée dans la taxe de Dominique Voynet TGAP (taxe générale sur les activités polluantes). Pour la même époque Bernard Ravenel qualifie l’accord obtenu avec l’Allemagne sur la « voiture propre », contre l’avis de Peugeot et de Citroën comme « l’acte le plus important survenu dans le processus de réduction des pollutions d’origine automobile en Europe ». Je te signale que Bernard était alors dans l’opposition à Huguette !

* Sophie : Le parti perçoit t-il tous ces aspects positifs ?

* Guy : Par sa présence au gouvernement Huguette cautionne les mesures économiques et sociales qui ne sont pas celles souhaitées par le PSU. Donc la distance entre la ministre et le parti, dirigé par Serge Depaquit, s’accroît et le congrès de Vénissieux est gagné de justesse par Depaquit avec 55%. Le parti se mobilise fortement sur deux thèmes où les divergences sont importantes avec aussi bien le PC que le PS : les euromissiles et l’immigration J’ai déjà évoqué, dans notre précédente rencontre, la. « guerre froide » entre les USA et l’URSS à propos de missiles stratégiques installés sur le sol européen.

  • Ce sont les Soviétiques qui, les premiers, ont installé des fusées SS-20, en Pologne, dirigées contre l’Europe. Fin 1983, à la demande du chancelier allemand, les Etats-Unis installent des fusées Pershing II en Allemagne. Les communistes français et le Mouvement de la paix manifestent contre les Pershing, mais ne disent rien sur les fusées soviétiques ! Le PSU réussit à réunir le CODENE et la CFDT pour une manifestation pour le désarmement nucléaire en Europe, contre les Pershing et aussi les SS-20, donc contre les deux blocs. Le PS interdit à ses militants d’aller aux deux manifestations ! Le PSU est le seul non aligné.
  • Je me souviens mieux de notre lutte sur l’immigration. La « marche pour l’égalité des droits», souvent appelée « marche des beurs », est décidée dans la cité difficile des Minguettes à Lyon. Cette initiative est suscitée par un curé, le père Christian Delorme, par ailleurs membre du MAN (mouvement pour une alternative non violente) et un pasteur, Jean Costil, membre de la Cimade. Elle s’inspire des actions de Martin Luther King et Gandhi. Elle part de Marseille le 15 octobre 1983, et se termine à Paris le 6 décembre, en y réunissant 100 000 personnes. Le PSU soutient activement cette marche, en particulier lors de l’accueil dans les étapes. Serge Depaquit et Huguette Bouchardeau l’accueillent à Amiens.
  • Bernard Ravenel, dans son livre rappelle le bilan dressé par Paul Oriol pour la commission « Immigrés » : « appel commun des cinq grandes confessions (catholique, musulmane, protestante, juive, orthodoxe), conférence de presse unitaire des partis de la majorité (sur l’initiative du PSU), présence de représentants de l’opposition dans la manifestation…réception à l’Elysée de « jeunes beurs » accompagnés par Georgina Dufoix et acceptation par Mitterrand du principe de la carte de dix ans, effectivement votée.

* Sophie : Votre groupe local du 20e arrondissement a du être tout particulièrement concerné par cette marche grâce à Paul Oriol ?

  • Guy : Nous avons réalisé une fresque. Dessinée par Claude Picart, elle fut déployée à la gare Montparnasse, lors de l’arrivée de la marche pour l’égalité. C’était un important travail militant. Comme chaque fois, j’achetais l’énorme tissu dans un magasin spécialisé de Montmartre, les pots de colle et les pinceaux. Claude arrivait chez moi rue Haxo, avec le dessin de la fresque sur une sorte de diapositive et un appareil de projection qui agrandissait sur le mur de mon salon le dessin à la taille de la future fresque.
  • Puis une équipe de 4 ou 5 militantEs, armée de crayons, recopiait sur le tissu les contours du dessin voire des lettres. Puis ils et elles prenaient les pinceaux et appliquaient la couleur voulue dans chaque zone délimitée. Des journaux empêchaient de salir le sol avec des gouttes vagabondes. Il ne restait plus qu’à nettoyer les pinceaux, rouler la toile pour l’amener le moment venu à son lieu d’exposition ou à la munir de bâtons pour une manifestation. Ces travaux se déroulaient dans la joie, les plaisanteries et les militantEs étaient fiers d’avoir produit un objet qui serait admiré.
  • Le PSU est aussi à l’origine du rassemblement d’associations en lutte pour obtenir la carte de dix ans, renouvelable, pour les immigrés et je t’ai raconté dans ma série d’aventures, souvent amusantes, vécues dans les commissariats de police, notre défense difficile des mariés turcs lors d’une arrestation pendant un collage pour cette carte de dix ans, dans notre arrondissement.

* Sophie : Et sur la politique européenne que se passe t-il sous ce gouvernement de gauche ?

* Guy : En juin 1984 a lieu une élection européenne qui sera une déroute pour le PSU. Il veut constituer une liste rassemblant les autogestionnaires et les déçus de la gauche, en particulier du PCF ; axée sur la réduction du temps de travail pour lutter contre le chômage, défendue par la CFDT. Les approches préliminaires aboutissent à un accord avec l’ancien candidat communiste au Conseil de Paris, Henri Fizbin et son groupe de « rénovateurs communistes ».

  • Fizbin refuse de critiquer la politique d’austérité du gouvernement socialiste et se déclare dans le journal du PSU « favorable à la force de frappe française » ! L’accord avec les Verts n’aboutit pas et entraîne le retrait du MAN et d’une partie des militants hostiles au nucléaire militaire. Bernard Ravenel et Claude Bourdet se retirent de la liste !
  • Tu attends le résultat ? C’est 0,73 %. Les électorats communistes et PSU sont décidément inconciliables. Le PC chute lui-même à 11,20 % ; le PS est à 20,75 %, les Verts à 3,36 %. Le FN progresse à 10,95 %, surtout dans le midi ! La droite RPR-UDF est à 43,02 %. Ce résultat catastrophique provoque bien évidemment un débat intense dans le PSU qui prépare le congrès de Bourges, prévu en décembre. J’ai quelque part effacé de ma mémoire cette période douloureuse ; mais je garde un souvenir précis (et désagréable) du congrès de Bourges où j’étais délégué pour une nouvelle et petite tendance). Je te raconterai
  • En juillet 1984 Fabius remplace Mauroy comme Premier ministre et Huguette devient ministre de plein exercice. Le gouvernement ne compte plus de ministres communistes. Le PCF quittera la majorité en septembre. La majorité nationale du PSU, conduite par Serge Depaquit, ne pose pas la question de la présence dans un nouveau gouvernement qui va accentuer la ligne sociale-libérale. Le chômage sera de 9 % de la population active en novembre 85. Claude Bourdet critique fortement la politique suiviste de son parti.