* Sophie : N’as-tu rien oublié pour les années 1984 et 1985 ?

* Guy : Le 10 juillet 1985 éclate l’affaire du Rainbow Warrior qui touche fortement les écologistes. Le Rainbow Warrior est le bateau amiral de Greenpeace qui veut aller sur l’atoll de Mururoa pour contester l’explosion prévue là-bas de bombes atomiques françaises. Le bateau fait escale à Auckland en Nouvelle Zélande.

  • Sur l’ordre du ministre de la Défense nationale Charles Hernu, et avec l’aval du Président de la République François Mitterrand, les services secrets français veulent saboter le bateau. Mais un photographe se trouve encore à bord et meurt. Les poseurs de la bombe sur la coque, les faux époux Turenge, sont assez vite découverts ainsi que les deux autres équipes des services secrets : la DGSE. Cette action en territoire étranger fait scandale et Hernu sera finalement obligé de démissionner. Je ne suis pas du tout fier d’avoir vu cet individu dans les locaux du PSU où il était parfois en battle-dress !
  • Pour terminer cette terrible année, il y eut heureusement la création des « Restos du cœur » » par Coluche !

* Sophie : A quelle époque la 5e République connaît-elle sa première cohabitation et aussi Tchernobyl ?

* Guy : En avril 1986 se produit la première catastrophe nucléaire, gigantesque. A Tchernobyl, en Ukraine, alors membre de l’URSS. Dans la centrale Lénine, un réacteur explose et libère un important nuage radioactif. Ce nuage survole une grande partie de l’Europe et y contamine les sols. En France le professeur Pierre Pellerin, directeur du service central de protection contre les rayonnements ionisants est ridiculisé par les médias car il aurait affirmé que la France n’est pas touchée, donc que le nuage s’est arrêté à la frontière avec l’Allemagne.

  • Gorbatchev, alors dirigeant de l’URSS a beaucoup de mal à avoir de vraies informations et la vie continue à proximité le lendemain. C’est la Suède qui, au niveau international, découvre la catastrophe après avoir cru que l’une de ses centrales était en cause.
  • En Ukraine, on affirmera ensuite 30 morts par irradiation aiguë, 4000 cancers de la thyroïde attribués à l’irradiation, auxquels il faudrait sans doute ajouter 4000 autres. Le bilan est de 9000 morts pour l’ONU et de 90 000 pour Greenpeace. Les travaux pour éteindre l’incendie, pour construire un dôme enfermant la centrale détruite et encore radioactive ont été dangereux et colossaux ! C’est la première fois que l’opinion mondiale est obligée de croire un peu les écologistes !

* Sophie : Que donnent les élections législatives après plusieurs années de Mitterrand président ?

* Guy : Mitterrand, en bon politicien, voyant les défaites de la gauche aux « petites élections » trouve une parade inattendue en faisant adopter, un an avant, le mode proportionnel pour ces législatives. Il sait en effet que le FN va prendre des sièges au RPR de Chirac. Cela provoquera d’ailleurs la démission du ministre Michel Rocard qui n’apprécie pas ce coup tordu. Alors le 16 mars 1986, lors des législatives Mitterrand gagne quelque peu son pari. Le bloc RPR-UDF obtient 290 sièges (50,2 %), le PS 206 sièges (35,7 %), le PCF 35 exactement comme le FN. Le PC aura perdu quasiment la moitié de ses suffrages. Donc * * * Mitterrand est obligé de nommer, le 20 mars, Jacques Chirac Premier ministre et commence la cohabitation. J’ai cherché ce qu’ont fait les députés FN et ce qu’ils ou elles sont devenus. Sur les 35 élus de 1986, deux seulement sont encore membres du FN, dont Bruno Goldnisch, et, dans l’Assemblée actuelle, on retrouve Marion Maréchal Le Pen et Gilbert Collard, tous les deux « bleu marine ». Les députés FN, dans l’opposition à la droite, ont déposé 63 propositions de loi, essentiellement sur la préférence nationale ou le retour à la peine de mort. Les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz « détails de l’histoire » ou « Durafour crématoire » n’ont pas plu à tous ses collègues.

  • 25 députés FN sur les 35 rompront avec le parti avant la fin de la mandature. Et ensuite se situera la scission avec Bruno Mégret. Tout cela pour souligner la volatilité de ce parti et aussi la difficulté à concilier dédiabolisation et radicalité de droite extrême.

* Sophie : Que devient le PSU, dans toutes ces turbulences ?

* Guy : Les échecs électoraux produisent bien évidemment de vifs débats. Le congrès de Bourges doit faire le point et définir une ligne pour essayer de trouver le bon espace, esquisser le devenir du parti. J’étais délégué à ce congrès et je l’ai vécu entièrement, dans une position différente de celle de Bernard Ravenel. Je partage l’essentiel de son analyse ; mais avec des nuances.

  • Ce fut le pire de tous les congrès que j’ai vécus, car, pour 80 % du temps, il remplaça les séances plénières par des réunions de tendances, 5 je crois, et des rencontres bilatérales, pour trouver des compromis donnant une majorité difficile à envisager. Aucun débat de fond ; uniquement de la politique politicienne ! Si la responsabilité d’Huguette Bouchardeau est évidente, elle n’est pas la seule coupable. Personne n’a pris de la hauteur. Le rapport d’activité avait été désavoué par 50,14 % des exprimés !
  • Ce récit ne peut t’intéresser que parce qu’il reste d’actualité. C’est celui de la participation à un gouvernement avec lequel les divergences sont réelles. Le secrétaire national Serge Depaquit avait depuis le début défendu fidèlement la participation d’Huguette au gouvernement PS et continuait. Mais un rival Jacques Salvator revendiquait la direction sur une ligne peu différente, plus « moderne » ; donc la majorité sortante était coupée autour de deux motions. De même l’opposition à la participation gouvernementale était divisée en deux motions.
  • J’avais été séduit par la motion proposée par un groupe de femmes de la commission féminisme, proches d’Huguette mais apportant une vision tout à fait nouvelle, autonome, en dehors des clivages traditionnels. Nous avions fait un score honorable, faible, mais indispensable pour bâtir la majorité. Donc notre groupe reçut, dans sa salle, la visite de toutes les autres tendances qui voulaient nous séduire. Je découvris alors que mes camarades femmes avaient en fait élaboré ce texte original pour, en fin de course, servir de force d’appui à Huguette. Je n’avais pas voté ce texte pour cela ; d’autres délégués non plus. Nouvelle complication !
  • Devant l’impasse, Huguette décide de tenter l’alliance avec Salvator et accepte de sacrifier Depaquit qui part du congrès en pleurant. Ce vieux militant en avait vu d’autres au sein du PC, pourtant ! Cette manœuvre échoue et Depaquit est remplacé, non pas par Salvator, mais par Le Scornet opposé à la participation gouvernementale. La motion d’orientation votée finalement qui écrivait : « le parti doit retrouver son autonomie politique par rapport au gouvernement ne recueille que 42 % des voix »

* Sophie : Alors, quel chemin suit le PSU, après le congrès de Bourges ?

* Guy : La question de la mort du PSU commence à être posée par certains, comme Bernard Ravenel. Entre 1984 et 1985, le nombre d’adhérentEs a chuté de 44 %, tombant au-dessous de 1000 ! Le parti n’a guère dépassé les 1 % aux législatives et les 2 % aux régionales. Le PSU va tenter de nouveaux rassemblements comme à sa fondation en 1960 ; mais il n’y a plus le ciment de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie ! . Léninisme et sociale démocratie cessent d’être des modèles dominants ; le communisme et le socialisme cessent d’être à la mode. Ecologie et féminisme prennent de plus en plus d’importance. Ravenel explique, déjà, que les partis ne répondent plus aux demandes de la société et qu’il faut les remplacer par des « mouvements ». plus horizontaux, plus décentralisés. Je trouve alors qu’il ne répond pas à la question de savoir par qui et comment sont prises les décisions d’ordre national ou international. Par une personne emblématique ou un groupe sans légitimité ?? Le débat affecte la convivialité interne.

  • Le PSU va quand même retrouver son unité et une occasion, avec l’assassinat d’Eloi Machoro en janvier 1985, d’affirmer son anticolonialisme. C’est en Nouvelle Calédonie où le peuple kanak demande son indépendance. Machoro était ministre de la Défense dans le gouvernement provisoire de la Kanaky future. Le PSU reçoit en février le leader du FLNKS Jean-Marie Tjibaou. Notre sectio organisera une réunion sur cette lutte.
  • Le PSU se bat également pour le droit de vote des résidents étrangers ; Paul Oriol écrit son premier livre : « Immigrés, métèques ou citoyens ? »

* Sophie : Quelle est alors l’atmosphère dans ton lycée Chaptal ?

* Guy : Les débats qui réunissaient dans une table du réfectoire ou en salle des profs 5 ou 6 passionnés de politique disparaissent peu à peu, remplacés par des débats sur la profession, les élèves. Cela pour diverses raisons : départs, âge, et aussi parce que la gauche au pouvoir affaiblit les besoins du peuple de gauche, qui, inconsciemment, délégue aux éluEs ! Le mouvement associatif a lui-même perdu sa virulence ! Pour moi, c’est la période où se développe mon hypocondrie ! Je me suis vu des cancers dans beaucoup de zones de mon organisme : prostate, colon, foie, poumons, tête, etc. Quand j’étais rassuré pour un endroit, vite un autre montrait des signes inquiétants ! Tu me demandes pourquoi cette apparition nouvelle. Le psychologue qu’Agnès m’a poussé à voir me suggère alors une réponse que je n’accepte pas. A chaque séance, il me répète obstinément : « Monsieur Philippon, avez-vous pensé à ce que vous ferez pendant votre retraite ? » Je lui réponds invariablement : « Je fais de la politique, je continuerai ! Je veux écrire mon histoire du PSU. Je veux écrire des poèmes, voire une pièce de théâtre ! Je n’aurai aucun problème ! »

  • C’est lui qui avait raison. Plus tard, voilà ma retraite. Je me recouche après le petit déjeuner, puis après le repas de midi. Je rêvasse et participe à quelques réunions le soir ? Le psychologue est affolé. Il essaie en vain de me pousser à voyager. Il faudra un certain temps pour que la politique me sorte du naufrage. En fait, mon travail de professeur était bien plus important pour mon équilibre psychologique que je ne le pensais. C’était une vraie communication avec des jeunes, un échange ; j’avais un rôle social : j’aidais des étudiants à devenir ingénieurs ; j’avais des relations amicales avec plusieurs collègues, et une activité syndicale !
  • Cette expérience peut être bonne à connaître pour de futurs retraités. Le passage est souvent un moment délicat ! En réalité, j’ai quand même eu à cette période de vrais soucis de santé, à côté des fantasmes. D’abord, concernant ma vue, fort mauvaise depuis ma naissance. Mon ophtalmo m’avait dit que les grands myopes risquaient des déchirures de la rétine qu’il faut soigner immédiatement par laser ; l’apparition d’un petit arc lumineux devait tout de suite conduire à voir le médecin. Cela m’arriva un dimanche ; donc série de rayons verts, à un rythme de mitrailleuse dans l’œil gauche (spectaculaire mais pas douloureux). Par sécurité cet ophtalmo me fera même des coutures par laser tout autour de l’œil, lors de 8 ou 10 séances d’une demi-heure !
  • De même, j’ai subi trois ou quatre fibroscopies de l’estomac et on m’a trouvé une hernie hiatale qui me provoquait un début d’ulcération. Elle ne se manifeste plus. Bizarre ?