* Sophie : Tu m’as promis de lire ton premier discours d’élu !

* Guy : Je m’exécute volontiers. J’avais travailé avec Paul et répété pour ne pas être obligé de lire, le nez collé à la feuille. « Au moment d’ouvrir cette séance, donc d’ouvrir une nouvelle période de la vie de nos quartiers beaucoup de sentiments se chevauchent dans mon cœur et ma raison. Mais il en est un qui domine tous les autres. Pour la première fois depuis 30 ans que j’habite l’arrondissement, j’ai le sentiment d’être ici chez moi, dans ma maison. Je m’étais toujours senti invité, toléré, dans les rangs du public, là bas, au fond de la salle, voué au silence, à la passivité, avec mes amis du foyer Bisson ou de la ZAC des Amandiers !

  • Or la Mairie est la cellule de base de notre République. C’est la maison du peuple, construite par lui et pour lui. Il faut que, désormais, chacun et chacune se trouve ici chez lui, qu’il soit riche ou pauvre, travailleur ou chômeur, jeune ou moins jeune, parisien ou breton, arménien ou malien, chinois ou portugais, ashkénaze ou Sépharade, maghrébin ou polonais, de gauche, de droite, du centre, d’ailleurs ou de nulle part, athée ou croyant, et de n’importe quelle confession. Il le faut, je le souhaite, nous le souhaitons, nous le voulons ! Je sens qu’il en sera ainsi, n’est ce pas, amis ?
  • Un deuxième sentiment est un mélange subtil d’allégresse lucide, de curiosité quasi scientifique, de dynamisme tranquille, devant la naissance d’un souffle démocratique, d’un nouvel élan collectif. La liste « Paris s’éveille » parlait d’oxygéner le 20e ; ce thème ne pouvait que réjouir les narines des membres de la liste « Paris Ecologie Solidarité Citoyenneté » dont j’ai fait partie. Les propositions portées dans le contrat commun des deux listes qui ont fusionné au second tour concernent bien évidemment l’environnement : l’arrêt des ZAC, la lutte contre les pollutions, la mise en place d’un réseau vert réservé aux piétons et aux cyclistes, bien d’autres projets encore !
  • Donc il s’agit bien de travailler pour que, demain, toutes et tous, nous respirions mieux dans le quartier, au sens physiologique du terme ; mais aussi, au sens figuré du terme, au sens général du terme, par une respiration démocratique, par la participation de toutes et tous dans les conseils de quartier par exemple
  • L’air pur, au sens symbolique du terme, c’est aussi la transparence dans les prises de décision, dans la gestion ; c’est le contrôle régulier, le pluralisme de l’expression des idées, la convivialité. Sans vouloir provoquer une polémique inutile, il semble bien que la défaite des éluEs d’hier soit due pour une bonne part à l’opacité dans la gestion, dans l’attribution des HLM, mais aussi dans le centralisme forcené qui donne au Maire de Paris et à quelques adjoints la totalité des pouvoirs fondamentaux, en particulier celui que donne la maîtrise de l’argent !
  • Le troisième sentiment qui flotte en moi est celui d’une petite appréhension devant l’ampleur et la difficulté des tâches qui nous attendent, nous les élus ! Difficulté accrue par le fait que le nouveau Maire de Paris, ce bon Monsieur Tibéri, ne va pas se priver de tendre tous les pièges, chausse-trappes, traquenards possibles et imaginables aux élus des 6 arrondissements qui lui ont infligé un camouflet !
  • Le budget d’un arrondissement est faible, quasi-ridicule !
  • Or l’attente des habitants et habitantes est immense, multiforme. Elle couvre tous les domaines, de la propreté des trottoirs aux questions du chômage, du plus politique au plus personnel.
  • Amis de la nouvelle majorité, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas décevoir. Nous aurons à écouter, à écouter encore et toujours, à comprendre ce qui est dit et ce qui est derrière les mots, au plus profond.. Nous aurons à proposer, à être présents dans les luttes quotidiennes, à tenir nos engagements.
  • Nous devons nous fixer comme règle de dire partout et toujours la vérité, même lorsqu’elle est difficile à faire accepter. En particulier, nous devons dire aujourd’hui que les élus, même animés de la plus grande énergie, ne pourront pas réaliser toutes leurs promesses s’ils ne sont pas liés étroitement à la population et à ses luttes
  • Pour terminer, je voudrais souligner que nous avons sans doute gagné par la richesse et la clarté de nos propositions, mais aussi parce que nous avons su porter l’espoir et le rêve. Nous aurons à réussir une difficile et constante synthèse entre le rêve et le réel, entre l’utopie et le concret, entre la gestion quotidienne et la vision à long terme, entre les problèmes sociaux, écologiques, humains, culturels, de l’arrondissement, de la France voire de la planète !
  • C’est le souhait que je forme pour l’arrondissement. Le soleil se lève à l’Est ! Que Paris s’éveille donc en commençant par l’Est !

* Sophie : Quels sont les premiers débats importants que, vous, éluEs écolos, affrontez-vous assez vite ?

Guy : Vraiment c’est la question des conseils de quartier qui figuraient dans les programmes de nos deux listes et dont le maire veut faire son emblème, sa marque de fabrique ! Le débat va être passionnant et symbolique des différences de fond. Une discussion s’engage sur les modalités de cette mise en place. Elle sera longue, car elle touche vraiment à diverses conceptions de la démocratie

  • David Assouline, adjoint en charge de la question, plaida pour un collège de tirés au sort, sur les listes électorales : « citoyens lambdas qui porteraient une vision plus proche des habitants »; nous soutenions cette idée ; le PC demande que plus de la moitié des conseillers soit désignée par les partis politiques représentés au conseil d’arrondissement qui seuls ont la légitimité du suffrage universel ; nous tenions beaucoup à la présence des associatifs. Finalement notre proposition de 3 collèges de 13 membres chacun dans chacun des 7 quartiers est validée par le maire Michel Charzat qui trouve l’idée simple, bien compréhensible
  • Nous ne sommes pas suivis sur l’idée de désigner dans les tirés au sort une part de résidents non communautaires (les résidents de l’union européenne peuvent voter aux élections municipales et européennes, mais pas les étrangers non communautaires, même s’ils résident en France depuis 30 ans) Nos propositions des listes sur lesquelles serait effectué le tirage au sort n'ont pu être acceptées.
  • Donc dès octobre 1995, pour la première fois à Paris seront institués peu à peu dans l’arrondissement 7 conseils de quartier avec 3 collèges
  • 13 tirés au sort sur les listes électorales, publiquement.
  • 13 désignés par les partis politiques présents au conseil d’arrondissement, proportionnellement à leur nombre d’élus, donc aussi par la droite.
  • 13 membres d’associations ou personnalités du quartier, nommés par le maire après consultation de sa majorité
  • Pour l’organisation, le découpage en 7 quartiers est celui que le PS a utilisé pour quadriller le terrain dans sa campagne municipale, avec de grandes inégalités numériques d’habitants allant de 15 000 environ pour Amandiers à 40 000 ou 50 000 pour le quartier Gambetta. Certains ont une véritable identité, comme Belleville, d’autres non, comme le quartier baptisé « périphérique » qui s’étend de la porte des Lilas à la porte de Vincennes, entre le périphérique et les boulevards des Maréchaux. Il sera ensuite supprimé et coupé en plusieurs parties rattachées aux quartiers voisins. Le quartier Gambetta sera également scindé en 2 : Gambetta et Pelleport-Télégraphe-Saint Fargeau.
  • Le maire est président officiel de chaque conseil et la coprésidence assumée par un élu de la majorité (soit 5 PS, 1 PC et 1 Vert) C’est ainsi que je serai coprésident pendant 5 ans du quartier Plaine situé entre la rue d’Avron et le Cours de Vincennes. Le PS a choisi les quartiers où l’implantation associative est la plus importante et laisse au PC et aux verts le choix entre Plaine et Périphérique ; le PC avait une petite implantation dans le périphérique et nous aucune dans les deux quartiers. De toutes façons c’était une exploration de terres inconnues !

* Sophie : Continuons peut-être sur ces conseils de quartier et le fonctionnement tel que tu l’as vécu en responsabilité.

* Guy : C’est une période heureuse de ma vie politique, car je découvre, de plus près, la vie réelle des gens qui ne sont pas des militants encartés, mais s’intéressent à de vrais débats politiques sur leur quotidien. Par contre, ils-elles refusent catégoriquement tout débat sur les questions politiques nationales, comme la durée du temps de travail.

  • Mon premier travail est de contacter au téléphone les tirés au sort pour savoir si, ils ou elles acceptent de devenir conseillers de quartier. C’était étonnant de voir que la quasi-totalité trouvait l’idée excellente. Les refus étaient motivés par le trop grand âge, le manque de mobilité ou le fait que ces personnes passaient plusieurs mois hors de Paris. J’aurai du mal à trouver les 13 associations susceptibles de siéger, car elles étaient très peu nombreuses dans ce quartier là. Il y eut : le Bus des femmes sur la prostitution, Riton la Manivelle, une responsable RATP et une précieuse directrice d’école.
  • Les participations aux Conseils, ouverts à tout le monde, oscilleront dans chaque quartier, autour de la centaine d’habitants. . Donc elle furent bien plus massives que lors des conseils d’arrondissement. Et, différence énorme, ils réussiront à imposer peu à peu leur droit à la parole dans les débats, ce qui est strictement et légalement interdit dans les conseils d’arrondissement : parents d’élèves,
  • Les réussites seront inégales suivant les quartiers et le rôle des animateurs, avec une faible participation des jeunes ou des étrangers. Cette démocratie reste consultative et non délibérative. En étant très optimiste, elle ne concerna que 7 fois 1000 personnes soit 7000 sur les 182 000 habitants de l’arrondissement. Mais elle a mis, dans la réflexion collective, un nombre nettement accru de citoyen-nes, donc dans le débat politique sur la vie quotidienne, voire la contestation et l’affirmation de contre pouvoirs. Elle a également mené à bien quelques projets concrets.

* Fut créé un " Observatoire de la démocratie locale" composée d'universitaires et d'associatifs (ADELS) indépendants qui rédigèrent 3 gros rapports très objectifs.