* Sophie : Comment analyses-tu le maire de l’époque : Michel Charzat ? Quelles étaient tes relations avec lui, et celles de tes camarades ?

* Guy : C’est un personnage complexe. C’est un intellectuel, un homme cultivé et pas seulement sur le plan politique et économique, mais aussi sur le plan culturel, sur l’art. Très vite, après son adhésion au PS en 1968, il devient l’un des théoriciens du CERES de Jean-Pierre Chevènement (et l’un de ses fidèles). Mais il ne suivra pas Chevènement quand celui-ci quittera le PS.

  • C’est un bourgeois et ce n’est pas un hasard s’il habite le seizième et qu’il y est resté, alors qu’il savait bien que c’est un handicap que ses adversaires utilisent. Ce n’est pas un mari fidèle. Je le croyais hautin, méprisant et, en visitant avec lui le quartier Plaine, j’ai découvert que c’était un timide ; ce qui n’efface pas le fait qu’il soit conscient de sa valeur ! Il a su laisser de la liberté à ses adjoints, y compris à l’écolo Fabienne Giboudeaux, par exemple pour l’écoquartier Fréquel Fontarabie.
  • Michel Charzat s’ennuyait fort dans les débats, souvent terre à terre, des conseils de quartier. Il ne se réveillait vraiment que lorsque la grande politique passait le bout de son nez. Pourtant il a bâti son image sur la démocratie participative ! Il a été virulent, féroce contre les rocardiens de son parti ; tellement que l’un de ses élus : Alain Riou a fini par rejoindre les Verts.
  • Sur le plan politique ou politicien il n’admettait pas que ses collaborateurs aient des positions différentes des siennes. Ainsi pour la mandature suivante il pensait que Jack Lang était la meilleure tête de liste pour conquérir Paris et pas Delanoé. L’adjoint PS Jean André Lasserre qui soutenait Delanoé a été mis sur la touche pour cette seconde mandature, alors qu’il avait été excellent, et menacé de représailles !
  • Denis Baupin, alors collaborateur de Dominique Voynet, rencontrait avec elle bien des personnalités nationales, sans aucun complexe. Pourtant il était impressionné par Charzat et mal à l’aise avec lui. Bizarre !
  • Cela me fait penser que les divergences, peuvent ne pas empêcher la solidarité, voire l’amitié ! Tu sais peut-être que Martine Billard est actuellement collaboratrice de Mélenchon et Denis aurait souhaité que les écolos restent au gouvernement de Valls ! Déjà, à l’époque, leurs divergences politiques existaient nettement. Or, Denis, employé à mi-temps par Voynet, avait un fort petit salaire et Martine Billard, conseillère de Paris, l’a aidé financièrement pendant plusieurs mois. !

* Sophie : Tu me dis que tu as oublié de me raconter un incident curieux survenu dans ta résidence. J’espère que cela est intéressant ! Allons-y !

* Guy : Je t'ai dit que j’avais été élu en 1969 dans la direction nationale du SNES, syndicat majoritaire des enseignants du second degré. Je représentais seul lors d’un congrès la tendance minoritaire Rénovation syndicale..

  • Richard Nixon (président des Etats-Unis entre 1969-1974) est en voyage à Paris, les 1 et 2 mars 1969. Il symbolise l’atroce guerre menée par son pays contre le Vietnam et le Cambodge, les bombardements au napalm et leurs déforestations, etc. La jeunesse américaine est déchaînée contre lui. Le PSU a prévu de coller massivement des affiches « Nixon go home ». Le général De Gaulle est encore président de la République française.
  • A cause du congrès du SNES, je ne peux coller ce week-end là ! Tout le matériel : balais, seaux, affiches est dans ma cave. Deux équipes se forment et je donne le numéro du cadenas à Claude Picart. Je passe ma soirée du samedi au congrès et je rentre vers 23 heures, bien fatigué ! Coup de téléphone d’Arielle, la femme de Claude qui me dit que les deux équipes, environ 10 personnes, ont été arrêtées, dans mon hall, et que je dois les faire libérer car ils sont accusés d’avoir volé dans ma cave.
  • En fait, plusieurs habitants de mon escalier sont hostiles à mes activités politiques; et les bavardages à la sortie de réunions dans mon appartement les agacent sérieusement. Ils ont trouvé une bonne occasion de nous ennuyer ; quand la bande de mes camarades est rentrée joyeusement, ils sont descendus dans le hall et ont crié « au voleur », appelé le gardien, puis la police. Mes camarades ont expliqué qu’ils avaient, avec mon accord, déposé du matériel dans ma cave, qu’ils connaissaient le numéro du cadenas ; les flics disent : «Bon ! Montrez-nous ! » La police entre dans la cave et saisit des exemplaires des affiches ; puis embarque la bande de « comploteurs ».
  • Je téléphone au commissariat et celui-ci commence par nier les arrestations. Je parlemente et dis que quelqu’un a assisté à la scène. Heureusement les locataires du rez-de-chaussée étaient sympas et Claude avait eu le temps de leur demander d’appeler sa femme, ce qu’ils avaient fait. Ma négociation n’aboutit pas car la police dit que la décision dépend des instances supérieures ! Je téléphone à notre avocat Maître Henri Leclerc, célèbre, qui me dit : « La police a fait une énorme bêtise puisque c’est une perquisition sans mandat, donc une violation de domicile. Ils vont réaliser et libérer tes amis. Retourne demain tranquillement à ton congrès »
  • Je retourne au congrès le dimanche matin et cela me permet d’arracher la possibilité d’une déclaration indignée sur les méthodes policières et les complicités du régime avec les affreux Etats-Unis. A midi je téléphone à Arielle pour vérifier que Claude et les autres ont bien été libérés ! Stupéfaction, c’est non. Alors il faut que j’aille moi-même au commissariat, malgré le congrès du SNES, pour qu’enfin ils soient libérés après une nuit et une matinée passées au poste! Leclerc nous conseille de porter plainte pour violation de domicile ; mais nous apprenons que cela nous coûterait une fortune. Nous renonçons !

* Sophie : je pense que nous arrivons en 1997 à une seconde cohabitation et au gouvernement « gauche plurielle » de Jospin?

* Guy : Oui ! Le gouvernement de Alain Juppé nommé par le président Jacques Chirac a déclenché, contre son plan__ sur les retraites et la Sécurité sociale, un énorme mouvement populaire. Le président veut lui donner une assise solide pour les 5 ans qui restent et aussi pour négocier ce qui deviendra la zone euro. Les sondages sont positifs pour lui. Il décide donc de dissoudre l’Assemblée nationale.

  • Les sondeurs se sont trompés et c’est la gauche qui gagne nettement le premier juin 1997. C’est une gauche qui sera baptisée « plurielle ». Elle comporte le PS, le PC, le mouvement des citoyens de Chevènement, les radicaux de gauche et les Verts. Avec le recul, je trouve que le gouvernement Jospin est impressionnant, avec quantité de « poids lourds » de la politique. Ecoute bien !
  • Martine Aubry (emploi-solidarité), Elisabeth Guigou (justice), Claude Allègre (Education nationale, qui heurtera les enseignants, remplacé par Jack Lang en 2000), Jean-Pierre Chevènement (intérieur), Hubert Védrine (remarquable ministre des affaires étrangères), Pierre Moscovici (affaires européennes), Dominique Strauss-Kahn (économie, puis Laurent Fabius en 2000), Alain Richard (défense), Catherine Trautmann (culture), Louis Le Pensec (agriculture puis Jean Glavany), Marie-Georges Buffet (jeunesse et sport), Edouard Vaillant (relations avec le parlement), Dominique Voynet (environnement puis Yves Cochet), Jean-Luc Mélenchon (délégué à l’enseignement professionnel), Ségolène Royal (déléguée à l’enseignement), Bernard Kouchner (délégué à la Santé), Claude Bartolone (délégué à La Ville), Jean-Claude Gayssot du PC (équipement, logement, transports).
  • Michel Sapin sera ministre de la fonction publique en 2000.Idem pour Roger-Gérard Schartzenberg (ministre de la recherche et radical de gauche) et Catherine Tasca (ministre de la culture et de la communication).
  • En cherchant, pour toi, les membres des gouvernements Jospin, j’ai eu envie de connaître sa vie. Et stupéfaction ! Je découvre que le début de son engagement politique est assez analogue au mien : adhésion en 1958 à l’UGS (union de la gauche socialiste) et logiquement participation à la création du PSU, en 1960. On ne mentionnait jamais cela, à son propos !
  • Après ce bon départ, les choses se gâtent. Jospin est reçu à l’ENA, puis part faire son service militaire et fait de « mauvaises rencontres ». Il adhère, sous ces influences, à l’OCI (organisation communiste internationale). Ce groupe est le plus sectaire, le plus ambigu des groupes trotskistes, le plus violent également. Il a agressé physiquement ses « ennemis » du groupe trotskiste des camarades de Krivine, la LCR, essayé de les jeter dans le canal Saint Martin ! Il a également défenestré une militante du PC ; heureusement ce n’était que du premier étage ! Ils ont régulièrement un candidat à la présidentielle où ils n’atteignent jamais les 1 % ; je ne sais pas pourquoi ils changent régulièrement le nom de leur petit parti. Par contre ils ont fourni une bonne partie des cadres dirigeants du syndicat FO et du PS, en commençant par Jospin, Cambadélis, etc. Leur formation intellectuelle et politique est remarquable ; mais, manifestement très compatible avec la ligne social-démocrate.
  • Ils nous disaient que le PSU était le Vatican en France, parce que la majorité des ouvriers PSU étaient des chrétiens. Ils ne voulaient pas considérer que ces chrétiens étaient vraiment laïcs et très révolutionnaires, prenant des risques personnels avec le FLN algérien et étaient en général membres de la CGT.
  • Revenons à Jospin. Son gouvernement fut un bon gouvernement ; tout le monde le dit. Bon sur le plan économique, comme sur le plan social : réduction du temps de travail à 35 heures, adoptée en 2000, loi sur le PACS pour les homos, loi sur les conseils de quartier, loi sur l’AME (aide médicale d’état) et sur la CMU (convention maladie universelle), réhabilitation des mutins de la guerre de 1914.Par contre la gauche peut regretter le nombre fort important de privatisations.
  • Une erreur grave : le remplacement du septennat pour les présidents de la République par le quinquennat, en liaison immédiate avec les législatives, ce qui accentue le présidentialisme français. Au lieu de penser loin et haut, il a pensé court terme ; il pensait en bénéficier lui-même, en devenant président de la République en 2002. Autre erreur : Jospin dit que son programme n’est pas socialiste mais « moderne » (boulevard pour Lutte Ouvrière et la LCR).
  • Il fait campagne sur son bilan. Or, on ne gagne pas sur un bilan ; on gagne sur un projet. Et le 21 avril 2002, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, c’est un coup de tonnerre qui élimine la gauche pour le second tour.

* Jacques Chirac : 19,88 %, Jean-Marie le Pen : 16,86, qualifiés pour la suite

* Lionel Jospin : 16,18, Bayrou : 6,84

* Arlette Laguillier : 5,72 Chasse Pêche Nature etTradition : 4,23

* Jean-Pierre Chevènement : 5,33 Maddelin, libéral : 3,91

* Noël Mamère : 5,25, Bruno Mégret : 2,34

* Besancenot : 4,25 Coinne Lepage : 1,8

* Robert Hue, PC : 3,37 Christine Boutin : 1,19,

* Taubira : 2,32

* Parti des travailleurs : 0,47 Au total 8 à gauche, et 8 à droite !! Divisions

  • Lionel Jospin abandonne la vie politique et démissionne de son poste de Premier ministre. Il aurait pu fort bien, légalement, rester à son poste pour préparer les législatives. Sans rechercher toutes les causes de l’échec, y compris les siennes, Jospin mettra la responsabilité sur les divisions de la gauche. Je suis frappé de constater que les trotskistes, divisés en trois candidatures, font au total 10 %. Chevènement avait été fort virulent contre Jospin pendant la campagne.
  • Il y aura une énorme manifestation contre la menace Front National et toute la gauche soutiendra Chirac pour le second tour. Il dépassera les 80 %, mais ne renverra pas du tout l’ascenseur.