1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


divers
Trente neuvième texte : Passé et transitions. Du rouge et du vert !

* Sophie : Et si tu me reparlais un peu de tes classes au lycée ?

* Guy : La classe d’un lycée est un être singulier, complexe, autonome, qui n’est pas la simple juxtaposition des personnalités qui la composent. Elle a besoin, pour être pleinement vivante, de travailleurs acharnés et de paresseux, de passionnés et de rêveurs, de sages et d’agités, de dociles et de rebelles.

  • J’ai un excellent souvenir d’un élève qui ne pouvait pas rester assis deux heures sans bouger. Je le laissais se lever de son siège et s’étirer. La classe ne profitait pas de l’aubaine pour demander à l’imiter ; elle avait compris le besoin psychologique de l’ami et respectait sans broncher.
  • Une année, ma classe a eu besoin de s’occuper d’un poisson rouge qu’elle installait dans un bocal sur le bureau du prof. Une autre année, elle a photographié ses profs sans qu’ils s’en aperçoivent, puis elle a truqué les photos pour déguiser gentiment chaque prof, suivant la vision qu’elle en avait. En ce qui me concerne, ils m’ont remis ma photo avec une toque de cuisinier. Comment diable, avaient-ils pu deviner que je suis un fan de pâtisseries, de gâteaux ? Auraient-ils fait une enquête ? Le prof d’anglais était également transformé en un professionnel d’un métier assez bien choisi.
  • Je me suis quelque peu ennuyé lorsque je n’ai eu, exceptionnellement, que 25 élèves. La classe n’avait pas de « relief », pas assez de vie propre. Pas d’élève brillant, pas de jeune qui ne devrait pas être dans une classe de mathématiques spéciales, pas de bavard impénitent. Au lycée Alexandre Ribot de Saint Omer, j’ai préféré ma classe de « sciences expérimentales » avec plus de trente élèves, à celle de « maths élém. » qui n’avait que 10 élèves, fort motivés, mais trop sages !
  • Au lycée de Guéret notre prof de maths en terminale avait besoin d’un bruit de fond pour bien travailler; et nous n’étions que neuf ! Il nous est arrivé de décider, méchamment, de faire un silence absolu. Le prof s’agaçait, perdait les pédales et finissait par piquer une colère. Alors nous lui redonnions nos bavardages, notre vie de groupe.
  • Les effectifs d’une classe préparatoire sont généralement supérieurs à 40 et cela ne pose guère de problème, à cause de la motivation générale. Le seul problème est, parfois, celui de l’intégration parmi les redoublants qui ont deux années de vie commune, des « byzuths », nouveaux venus ; j’ai parfois ressenti cette difficulté, mais pas toujours car cela dépend de plusieurs facteurs. L’existence de sous-groupes ayant une unité autonome n’est pas nécessairement un handicap et peut devenir un avantage, par la vie que procure le pluralisme. Il en a été de même pour l’intégration des jeunes femmes, en général fort peu nombreuses dans ces classes « technologiques » avec travaux en atelier.
  • Je n’ai enseigné que deux ans dans une classe de sixième à Rouen et j’étais bien plus fatigué car ces jeunes bougeaient sans cesse sur leurs bancs, faisaient tomber un crayon ou une gomme, riaient avec leur voisin, etc. Problème de bruit et pas de discipline.!
  • C’est également à Rouen que j’ai pu constater que ma très mauvaise vue n’était pas un handicap pour mon métier. Un jour de ma première année d’enseignement, dans ma classe de première, je sens au fond de la classe quelque chose de bizarre, d’anormal. Je décide donc de faire l’appel. Et je constate qu’une rangée d’élèves d’une autre première est venue là. On voulait me tester, savoir jusqu’où on pouvait utiliser ma lacune. J’avais retourné la situation.
  • Comme les aveugles, les mal voyants se fabriquent des compensations. Au fond d’une classe, je ne vois pas vraiment les visages, mais j’ai en mémoire les attitudes familières, les habits ordinaires. J’ai souvent plus de mal avec les femmes qui changent de coiffure, de vêtements. J’ai souvent dit que j’avais une vision des choses analogues à celles des peintures impressionnistes, avec des taches floues de couleurs, pas de bordures rectilignes, rigides, brutales !
  • Mon écrivain préféré Jules Romains a théorisé, comme méthode poétique, « l’unanimisme ». La classe d’un lycée est un excellent exemple de ces « êtres unanimes », originaux, autonomes, totalement différents suivant leur composition et leur histoire. Jules Romains prenait l’exemple d’une caserne.


* Sophie : Pendant ta carrière, as-tu eu des arrêts maladie, des problèmes de santé ?

* Guy : Peu, en fait. Mais, assez vite après ma nomination au lycée Chaptal, j’ai eu une opération, donc un assez long arrêt. Il avait été décidé un match de rugby entre les élèves du lycée et leurs profs. L’ossature de l’équipe « magistrale » était composée de profs d’éducation physique et de surveillants ; mais il fallait quinze joueurs et une vraie représentation du corps enseignant.

  • Or j’étais fier de mon titre, comme étudiant, de champion creusois du 100 mètres; je n’avais pas pu faire de match de rugby à cause de ma très mauvaise vue et de la difficulté à bien recevoir les passes. J’avais de vifs regrets ! Je propose de jouer trois-quart aile, poste où il faut courir vite.
  • Je suis accepté et voici le jour du match, des maillots, des souliers à crampons. Nous n’avons pas eu le temps de faire des entraînements préalables. Donc; à la deuxième attaque en ligne des profs, j’ai un fort mal à la cheville droite et je dois sortir sur la touche. Fin de mon match !
  • Après quelques journées de mal persistant, un surveillant me dit que j’ai peut-être une rupture du tendon d’Achille et qu’il connaît bien le chirurgien de l’équipe de France de rugby, que je devrais aller le voir. Je prends rendez-vous et je crois aller mieux. Mais le toubib me déclare : « C’est une rupture du tendon ! je vous opère ! » Donc hospitalisation dans sa clinique du seizième arrondissement. Il m’explique qu’il prélèvera des tissus sur mes cuisses pour en faire des fils permettant de recoudre le tendon avec des éléments faciles à tolérer. Opération délicate de quatre heures, et pose d’un plâtre.
  • Je passerai quelques jours dans la même chambre qu’e deux hommes de condition modeste : un coiffeur de la porte des Lilas et un maghrébin, travailleur du bâtiment, je crois ; nous verrons ensemble un débat télévisé entre Michel Rocard et le futur ministre de l’Education nationale Edgar Faure. Débat fort intéressant mais assez intellectuel et je suis curieux de connaître l’avis de mes compagnons. Ils ne disent rien sur le fond, mais déclarent : « match nul ; égalité ! »
  • A la sortie, je marche avec une canne et je distribue même des tracts au métro Saint Fargeau, près de chez moi. Un militant facho me bouscule volontairement pour me faire tomber. Je résiste et je souhaite retourner au lycée, malgré l’arrêt prévu d’un mois, pour achever la préparation au concours de mes élèves. L’administration refuse par peur d’une chute au lycée. Compréhensible. Il me faudra pour y arriver une autorisation officielle du chirurgien ! Je ne tomberai pas !
  • Le plus déstabilisant pour moi, donc pour mon travail au lycée, fut, bien plus tard, avant mon départ à la retraite, en 1990, la cancérophobie obsessionnelle dont je t’ai déjà parlé. Je me rappelle qu’un jour je suis parti en commençant à vider mon casier de la salle des profs et avoir dit à Lucette, mon amie du secrétariat du proviseur que je ne reviendrais sans doute pas le lendemain. Je me voyais hospitalisé, près de la mort ! Je suis revenu en fait le lendemain. Mon angoisse ne provoqua aucun arrêt maladie !
  • Et mes trois dernières opérations eurent lieu quand j’étais « radié des cadres de l’Education nationale », comme le dit maladroitement notre bureaucratie cynique ! Deux opérations d’une hernie inguinale en juin 1992 et en octobre 1993 et une opération de la prostate en février 1993. La prostate m’a perturbé quelques temps et m’a obligé une fois ou deux à quitter mes élèves pendant un cours !

* Sophie : Que fais-tu après la dissolution du PSU, politiquement

* Guy : Comme la plupart de celles et ceux qui étaient encore au PSU, j’adhère à l’AREV (alternative rouge et verte) qui regroupe avec nous des membres des comités Juquin, de la « Nouvelle Gauche, pour le Socialisme, l’Ecologie et l’Autogestion », donc souvent d’anciens communistes et la Fédération pour une Gauche Alternative. Paul Oriol dira que ces opérations de fusion sont des mathématiques postmodernes, dans lesquelles 600 + 600 = 600, trop souvent ; et il n’avait pas vraiment tort puisque Wikipédia parle de 15 000 au début et 300 en 1998, ce qui est contestable pour les 2 chiffres ; les départs se font chez les Verts, la LCR ou les associations ! Nous continuerons à nous réunir à la Teinturerie et à publier Les Pavés de la Commune ; mais nous ne serons qu’une douzaine environ et je ne me souviens d’aucun membre venu par les comités Juquin !

  • Mais, avant d’abandonner le PSU, je veux te raconter une anecdote assez amusante. Le secrétaire national Jean-Claude Lescornet va en URSS pour je ne sais quelle mission et il a l’occasion de rencontrer une belle russe, artiste. Le personnage important qu’est pour elle le secrétaire national d’un parti occidental la séduit et elle revient avec lui en France. Elle découvre alors que le PSU est en fait un tout petit parti, devenu assez marginal ! Jean-Claude veut aménager la cave de notre local rue de Malte et en faire une salle de spectacle pour son amie, dont il est très amoureux. Raté et il s’absente à de nombreux bureaux politiques qu’il devrait présider jusqu’à ce que ce bureau lui pose un ultimatum ! Et puis le PSU va disparaître. Je ne sais pas ce qu’est devenu le couple franco-russe ?
  • Je viens de ressortir ma collection des Pavés de la Commune pour trouver la nature de nos activités. Les articles portent beaucoup sur les immigrés, la revendication du droit de vote pour les étrangers non communautaires. Paul Oriol écrit beaucoup en plus de ses « mauvaises lectures de Polo ». J’écris pratiquement toujours l’éditorial.
  • La présentation est devenue plus professionnelle, plus élégante et je crois que nous avons abandonné notre travail d’offsettistes amateurs pour une impression payante. Nous utilisons beaucoup de dessins de Plantu qui permet cette utilisation sans exiger de droits d’auteur !
  • L’énumération suivante d’articles des Pavés va te donner une bonne idée de nos débats et de nos actions (même si elle a l’inconvénient de sauter jusqu’en janvier 1998, moment où je décide de rejoindre les Verts. Mais ma période AREV a une réelle unité) Nous reparlerons de cette transition.
  • Voici donc cette liste à la Prévert : Mur de Berlin, présentation de l’AREV (alternative rouge et verte), grève à la BNP, FN, expulsions, Rocard et le capitalisme tempéré, guerre du Golfe, Edith Cresson, URSS, Le Pen, Paul Oriol et son livre, élections d’avril 1992, Pologne, Maastricht, Vœux de janvier 1993, Balladur, l’Abbé Pierre, Agir Contre le Chômage, privatisations, lutte de la rue de la Mare, « Le gouffre », Voynet candidate à la présidentielle de 1995, Martine Billard tête de liste au élections municipales de 1995, analyse de l’élection du maire du 20e Michel Charzat, puis son bilan, contre le nucléaire, lutte contre l’intolérable West hôtel et ses rats, Vache folle, 100e numéro des Pavés, bilan du PSU, « 5 ans sans contrôle », « le carrefour », « Continuité ».
  • Dans ce dernier numéro des Pavés, j’explique que, pour moi, il y a continuité entre mes actions dans le PSU et celles à venir chez les Verts. Dans les « Pavés de la Commune » ont figuré bien entendu plusieurs analyses d’élections diverses et chaque année des vœux politiques. 103 numéros ont été réalisés au total !
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Trente huitième texte : Le PSU meurt à trente ans

* Sophie : Que devient ta section PSU du vingtième arrondissement ?

* Guy : Nous continuons à publier régulièrement notre journal « Les pavés de la commune » et à faire nos réunions à la Teinturerie de la rue de la Chine. Entre 1982 et 1990, date de la fin du PSU, nous avons publié 5 numéros par année, en moyenne. Je te signale qu’en avril 1987, nous faisons un article sur le drame de Creys-Malville, qu’en novembre 1987 nous faisons des réunions sur la Chine avec Raymond Georgein qui y a exposé des toiles et reviendra avec une jeune chinoise, puis avec Guy Labertit de la commission « internationale » sur le Tchad, qu’en février 1989, nous ferons une réunion avec Paul Oriol et Bernard Delmotte sur Amiens où 4 conseillers étrangers sont associés au conseil municipal depuis 1987 (un Marocain, un Algérien, un Sénégalais et un Portugais ; grande réussite pour le PSU).

  • Un événement va nous donner un véritable espoir pour « l’Alternative »: le développement des mouvements des Rénovateurs et des Refondateurs du parti communiste et en particulier l’alliance avec Pierre Juquin qui sera notre candidat à la présidentielle de 1988. Un nombre important de membres du comité Juquin se réunit rue de la Chine. Je note une bonne centaine de noms nouveaux. La campagne présidentielle est active, dynamique, optimiste. Malheureusement le résultat est démoralisant : 2,10 % pour Juquin. Décidément les électorats communistes et PSU sont incompatibles ( il y avait eu une expérience malheureuse dans le 13e arrondissement).
  • François Mitterrand est réélu président au second tour, face à Jacques Chirac. Il se sent obligé de nommer le populaire Michel Rocard Premier ministre ! J’ai gardé respect, estime et même une réelle sympathie pour Michel. Je suis admiratif pour la façon dont il réussit à sortir par le haut du drame de Nouvelle Calédonie, consécutif aux massacres de la grotte d’Ouvéa et à trouver un compromis entre kanaks et caldoches. Les indépendantistes acceptent de rester dans la République française jusqu’en 1998 et tu vois que plus personne ne parle actuellement d’autodétermination pour ce pays ! Les kanaks obtiennent l’amnistie pour les massacres de gendarmes et des promesses de développement. Les accords sont validés par référendum, en novembre 1988. Vite fait, bien fait !
  • Les deux dernières années de la décennie sont pénibles pour moi, à cause de la mort inéluctable du PSU et les cancérophobies dont je t’ai parlé. J’ai bien du mal à parler après deux heures de cours. J’essaie d’installer un micro dans ma salle de cours et ça rate. Je crois à un cancer des cordes vocales jusqu’à ce que l’on me suggère de voir une orthophoniste.
  • Au bout de 30 secondes, elle me persuade que je n’ai rien de grave ; je n’utilise pas mes poumons comme un soufflet pour pousser ma voix ; donc je fatigue trop la zone des cordes vocales. Cette orthophoniste me fera faire des séances de relaxation et des exercices de « chant grégorien », en psalmodiant des voyelles. Je suis un peu sceptique ; mais je serai vite guéri et je découvrirai que plusieurs collègues sont également obligés de recourir à des orthophonistes. Pourquoi ces conseils ne font-ils pas partie de la formation des enseignants ?

* Sophie : Comment le PSU vit-il le gouvernement Michel Rocard ?

* Guy : Mitterrand, volontairement, ne l’a pas aidé à trouver une majorité absolue de gauche au parlement, après sa victoire de 1988 et Rocard doit jongler avec les centristes, et devra avoir recours 28 fois à l’article 49-3 de la constitution. Je suis d’accord avec lui quand il crée la CSG, impôt prélevé à la source, qui, pour la première fois, frappe non seulement les travailleurs, mais aussi le capital. Je pense que le PSU a soutenu cette initiative.

  • Je suis alors furieux contre les communistes qui l’attaquent sur cette CSG en disant qu’elle frappe les retraités. Pourtant Rocard a prévu des compensations pour les petites retraites ! Je suis avec intérêt les affrontements feutrés entre Rocard et le président Mitterrand. Je t’ai déjà dit que Mitterrand pensait que Rocard se ridiculiserait assez vite, avec ses utopies irréalistes. « Au bout de dix-huit mois, on verra au travers lui ! » déclarait-il ! Or Rocard reste populaire et Mitterrand sera obligé de le conserver pendant trois années jusqu’en mai 1991 !
  • Rocard est également le créateur du RMI, devenu maintenant le RSA. On lui a beaucoup reproché sa phrase : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il dit qu’il ajoutait : « mais elle doit fidèlement en prendre sa part » Mitterrand sera finalement obligé de licencier un Rocard encore populaire qui deviendra premier secrétaire du PS. Jusqu’au coup de Jarnac porté par le président lors des élections européennes, avec Tapie, balancé comme concurrent !
  • Le PSU pouvait difficilement oublier que Rocard avait abandonné le PSU pour aller au PS, en espérant devenir le successeur de Mitterrand. La grande majorité des adhérentEs de l’époque n’avait pas connu le PSU de la décennie 1960-1970, celle de la guerre d’Algérie et du tandem Rocard-Heurgon ! Pour eux Rocard était essentiellement un social démocrate.

* Sophie : Quel bilan fais-tu des trente années du PSU ? Quels sont tes meilleurs souvenirs de toute cette période ?

* Guy : Je pense, comme Ravenel, que ce parti a été « visionnaire » et a porté le premier des idées importantes : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, donc à la décolonisation vraie, pas factice, le « décoloniser la province » contre le jacobinisme, l’autogestion contre les délégations de pouvoir, l’écologie politique, le réformisme « révolutionnaire ou radical » opposé au léninisme et à la social démocratie. Mon meilleur souvenir est la lutte des Lip, devant celle de la guerre d’Algérie et du dynamisme de la section PSU du vingtième arrondissement

  • Les fondateurs du PSU de 1960 se partageaient en deux rêves :
  • - refaire l’unité du mouvement ouvrier cassée au congrès de Tours en 1920, entre communistes et socialistes, retrouver la dynamique du Front populaire de 1936, d’un côté, et
  • - créer un nouveau parti qui finirait par prendre la place des vieux partis de gauche, faisant oublier les tares du stalinisme et de la bureaucratie opportuniste des socialistes, plus, accessoirement la scissionite aiguë des trotskistes.
  • Ces deux paris ont été ratés. Je n’assisterai pas, en novembre 1989 au congrès de dissolution du PSU ! Bernard Ravenel souligne la coïncidence des dates entre la mort du PSU et la chute du Mur de Berlin, symbole de « la fin du socialisme réel » et du triomphe idéologique du libéralisme et du marché. C’est le PSU qui a analysé les nouvelles formes du capitalisme et les transformations profondes de la société : Serge Mallet avec deux livres « La nouvelle classe ouvrière » et « Les paysans contre le passé ». D’ailleurs Serge Mallet, Bernard Lambert et le PSU sont vraiment les créateurs des « Paysans travailleurs » qui deviendront la « Confédération paysanne »
  • Le PSU comprendra parfaitement les aspirations de la société française en mai 1968 et y jouera un rôle important, trop ignoré. En liaison étroite avec la CFDT il a mené de sérieuses réflexions sur l’autogestion et le contrôle ouvrier ; il n’a pas réussi à imposer cette perspective. On peut également dire qu’il est le père de l’écologie politique, même s’il n’a utilisé le mot que tardivement. Trois livres remarquables scandent ces réflexions théoriques : le manifeste de 1972 « Contrôler aujourd’hui, pour décider demain », «L’utopie réaliste » en 1977 et « Pour vivre, produire, travailler autrement » en 1978. Belles perspectives que la gauche devrait adopter enfin !
  • Je ne résiste pas à l’envie de te lire la liste des hommes et femmes connus qui ont été membres du PSU, plus ou moins longtemps :

* Les intellectuels : Alain Badiou, Pierre Belleville, Jean-Louis Bory, François Chatelet, Francine Comte, Daniel Guérin, Alain Guillerm, Alain Joxe, Robert Lapoujade, Victor Leduc, Alain Lipietz, Jérôme Lindon, Serge Mallet, Clara Malraux, Pierre Naville, Hubert Prévot, Olivier Revault d’Allonnes, Laurent Schwartz, Emmanuel Terray, Patrick Viveret, Jean-Marie Vincent

* Les historiens : Claude Manceron, François Furet, Marc Heurgon ,Pierre Jeannin, Jacques Le Goff , Ernest Labrousse, Emmanuel Le Roy Ladurie, Jacques et Mona Ozouf, Michelle Perrot, Edouard Perroy, Bernard Ravenel, Denis Richet , Pierre Vidal Naquet. Liste impressionnante !

* Quelques syndicalistes parmi bien d’autres : Edmond Maire, Albert Détraz, Fredo Krumnov (dirigeants CFDT) sans oublier Charles Piaget, pour la CFDT-LIP et Claire Villiers ( CFDT-ANPE et cofondatrice de AC ! :agir ensemble contre le chômage), André Barjonet (dirigeant CGT),Robert Chéramy (dirigeant FEN), Alain Geismar (secrétaire national du SNES-Sup), Bernard La-mbert ( fondateur des Paysans Travailleurs), Gabriel Granier fondateur du SMG (syndicat de la médecine générale), une liste importante de présidents de l’UNEF

* Les journalistes : Claude Bourdet et Gilles Martinet (France Observateur), Victor Fay (Combat), Victor Leduc ( l’Humanité), Gilbert Mathieu (Le Monde), Bernard Langlois (télé puis Politis), Maurice Najman (Libération), Claude-Marie Vadrot (Le Canard, le JDD puis Politis), Antoine Glaser (la lettre du continent, spécialiste de l’Afrique, qui fut membre de notre section du 20e arrondissement) etc.

* Les artistes : Jacques Bertin (chanteur et journaliste), Jean Tabary (qui dessinait des BD dans Pilote et a réalisé 2 BD, journaux muraux pour sa section PSU du vingtième arrondissement de Paris), Claude Picart (peintre, auteur de plusieurs affiches nationales dont « le parti de votre avenir : PSU ») Raymond Georgein (peintre de renommée internationale, voir portrait plus loin).

* Les avocats : Henri Leclerc, Yves Dechezelles, Yves Jouffa, Pierre Stibbe.

* Les ministres (avant, pendant ou après leur présence au PSU) : François Tanguy Prigent (agriculture), Edouard Depreux (intérieur et éducation nationale), Daniel Mayer (travail et sécurité social, président de la LDH), Alain Savary (éducation nationale), Charles Hernu (défense), Jack Lang (culture, etc.), Robert Chapuis (secrétaire à l’enseignement technique), Jean Legarrec (délégué à l’emploi), Huguette Bouchardeau (environnement), Marylise Lebranchu (justice), etc.

* et trois premiers ministres qui ont été des fondateurs du PSU en 1960 : Pierre Mendés France (juin 54-février 55), Michel Rocard (mai 88-mai 91), Pierre Bérégovoy (avril 92-mai 93.

* Les secrétaires nationaux de partis autres que le PSU : Gilles Lemaire pour les Verts, Brice Lalonde pour Génération écologie, Alain Savary et Michel Rocard pour le PS, Jean-Jacques Boislaroussie, Michel Fiant et Henri Mermé pour l’Alternative Rouge Et Verte, et même, pour une courte période, Arlette Laguiller pour LO. Bien des cadres des Verts ou du PS, connus ou non, sont passés par le PSU.

* Les précurseurs de l’écologie politique : René Dumont adhérent pendant la guerre d’Algérie et signataire du manifeste des 121, Michel Mousel secrétaire national du PSU après le départ de Michel Rocard (1974-1979), président de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), fondateur de 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable) etc. C’est impressionnant, n’est-ce pas ?

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Trente septième texte : La décroissance du PSU

* Sophie : N’as-tu rien oublié pour les années 1984 et 1985 ?

* Guy : Le 10 juillet 1985 éclate l’affaire du Rainbow Warrior qui touche fortement les écologistes. Le Rainbow Warrior est le bateau amiral de Greenpeace qui veut aller sur l’atoll de Mururoa pour contester l’explosion prévue là-bas de bombes atomiques françaises. Le bateau fait escale à Auckland en Nouvelle Zélande.

  • Sur l’ordre du ministre de la Défense nationale Charles Hernu, et avec l’aval du Président de la République François Mitterrand, les services secrets français veulent saboter le bateau. Mais un photographe se trouve encore à bord et meurt. Les poseurs de la bombe sur la coque, les faux époux Turenge, sont assez vite découverts ainsi que les deux autres équipes des services secrets : la DGSE. Cette action en territoire étranger fait scandale et Hernu sera finalement obligé de démissionner. Je ne suis pas du tout fier d’avoir vu cet individu dans les locaux du PSU où il était parfois en battle-dress !
  • Pour terminer cette terrible année, il y eut heureusement la création des « Restos du cœur » » par Coluche !

* Sophie : A quelle époque la 5e République connaît-elle sa première cohabitation et aussi Tchernobyl ?

* Guy : En avril 1986 se produit la première catastrophe nucléaire, gigantesque. A Tchernobyl, en Ukraine, alors membre de l’URSS. Dans la centrale Lénine, un réacteur explose et libère un important nuage radioactif. Ce nuage survole une grande partie de l’Europe et y contamine les sols. En France le professeur Pierre Pellerin, directeur du service central de protection contre les rayonnements ionisants est ridiculisé par les médias car il aurait affirmé que la France n’est pas touchée, donc que le nuage s’est arrêté à la frontière avec l’Allemagne.

  • Gorbatchev, alors dirigeant de l’URSS a beaucoup de mal à avoir de vraies informations et la vie continue à proximité le lendemain. C’est la Suède qui, au niveau international, découvre la catastrophe après avoir cru que l’une de ses centrales était en cause.
  • En Ukraine, on affirmera ensuite 30 morts par irradiation aiguë, 4000 cancers de la thyroïde attribués à l’irradiation, auxquels il faudrait sans doute ajouter 4000 autres. Le bilan est de 9000 morts pour l’ONU et de 90 000 pour Greenpeace. Les travaux pour éteindre l’incendie, pour construire un dôme enfermant la centrale détruite et encore radioactive ont été dangereux et colossaux ! C’est la première fois que l’opinion mondiale est obligée de croire un peu les écologistes !

* Sophie : Que donnent les élections législatives après plusieurs années de Mitterrand président ?

* Guy : Mitterrand, en bon politicien, voyant les défaites de la gauche aux « petites élections » trouve une parade inattendue en faisant adopter, un an avant, le mode proportionnel pour ces législatives. Il sait en effet que le FN va prendre des sièges au RPR de Chirac. Cela provoquera d’ailleurs la démission du ministre Michel Rocard qui n’apprécie pas ce coup tordu. Alors le 16 mars 1986, lors des législatives Mitterrand gagne quelque peu son pari. Le bloc RPR-UDF obtient 290 sièges (50,2 %), le PS 206 sièges (35,7 %), le PCF 35 exactement comme le FN. Le PC aura perdu quasiment la moitié de ses suffrages. Donc * * * Mitterrand est obligé de nommer, le 20 mars, Jacques Chirac Premier ministre et commence la cohabitation. J’ai cherché ce qu’ont fait les députés FN et ce qu’ils ou elles sont devenus. Sur les 35 élus de 1986, deux seulement sont encore membres du FN, dont Bruno Goldnisch, et, dans l’Assemblée actuelle, on retrouve Marion Maréchal Le Pen et Gilbert Collard, tous les deux « bleu marine ». Les députés FN, dans l’opposition à la droite, ont déposé 63 propositions de loi, essentiellement sur la préférence nationale ou le retour à la peine de mort. Les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz « détails de l’histoire » ou « Durafour crématoire » n’ont pas plu à tous ses collègues.

  • 25 députés FN sur les 35 rompront avec le parti avant la fin de la mandature. Et ensuite se situera la scission avec Bruno Mégret. Tout cela pour souligner la volatilité de ce parti et aussi la difficulté à concilier dédiabolisation et radicalité de droite extrême.

* Sophie : Que devient le PSU, dans toutes ces turbulences ?

* Guy : Les échecs électoraux produisent bien évidemment de vifs débats. Le congrès de Bourges doit faire le point et définir une ligne pour essayer de trouver le bon espace, esquisser le devenir du parti. J’étais délégué à ce congrès et je l’ai vécu entièrement, dans une position différente de celle de Bernard Ravenel. Je partage l’essentiel de son analyse ; mais avec des nuances.

  • Ce fut le pire de tous les congrès que j’ai vécus, car, pour 80 % du temps, il remplaça les séances plénières par des réunions de tendances, 5 je crois, et des rencontres bilatérales, pour trouver des compromis donnant une majorité difficile à envisager. Aucun débat de fond ; uniquement de la politique politicienne ! Si la responsabilité d’Huguette Bouchardeau est évidente, elle n’est pas la seule coupable. Personne n’a pris de la hauteur. Le rapport d’activité avait été désavoué par 50,14 % des exprimés !
  • Ce récit ne peut t’intéresser que parce qu’il reste d’actualité. C’est celui de la participation à un gouvernement avec lequel les divergences sont réelles. Le secrétaire national Serge Depaquit avait depuis le début défendu fidèlement la participation d’Huguette au gouvernement PS et continuait. Mais un rival Jacques Salvator revendiquait la direction sur une ligne peu différente, plus « moderne » ; donc la majorité sortante était coupée autour de deux motions. De même l’opposition à la participation gouvernementale était divisée en deux motions.
  • J’avais été séduit par la motion proposée par un groupe de femmes de la commission féminisme, proches d’Huguette mais apportant une vision tout à fait nouvelle, autonome, en dehors des clivages traditionnels. Nous avions fait un score honorable, faible, mais indispensable pour bâtir la majorité. Donc notre groupe reçut, dans sa salle, la visite de toutes les autres tendances qui voulaient nous séduire. Je découvris alors que mes camarades femmes avaient en fait élaboré ce texte original pour, en fin de course, servir de force d’appui à Huguette. Je n’avais pas voté ce texte pour cela ; d’autres délégués non plus. Nouvelle complication !
  • Devant l’impasse, Huguette décide de tenter l’alliance avec Salvator et accepte de sacrifier Depaquit qui part du congrès en pleurant. Ce vieux militant en avait vu d’autres au sein du PC, pourtant ! Cette manœuvre échoue et Depaquit est remplacé, non pas par Salvator, mais par Le Scornet opposé à la participation gouvernementale. La motion d’orientation votée finalement qui écrivait : « le parti doit retrouver son autonomie politique par rapport au gouvernement ne recueille que 42 % des voix »

* Sophie : Alors, quel chemin suit le PSU, après le congrès de Bourges ?

* Guy : La question de la mort du PSU commence à être posée par certains, comme Bernard Ravenel. Entre 1984 et 1985, le nombre d’adhérentEs a chuté de 44 %, tombant au-dessous de 1000 ! Le parti n’a guère dépassé les 1 % aux législatives et les 2 % aux régionales. Le PSU va tenter de nouveaux rassemblements comme à sa fondation en 1960 ; mais il n’y a plus le ciment de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie ! . Léninisme et sociale démocratie cessent d’être des modèles dominants ; le communisme et le socialisme cessent d’être à la mode. Ecologie et féminisme prennent de plus en plus d’importance. Ravenel explique, déjà, que les partis ne répondent plus aux demandes de la société et qu’il faut les remplacer par des « mouvements ». plus horizontaux, plus décentralisés. Je trouve alors qu’il ne répond pas à la question de savoir par qui et comment sont prises les décisions d’ordre national ou international. Par une personne emblématique ou un groupe sans légitimité ?? Le débat affecte la convivialité interne.

  • Le PSU va quand même retrouver son unité et une occasion, avec l’assassinat d’Eloi Machoro en janvier 1985, d’affirmer son anticolonialisme. C’est en Nouvelle Calédonie où le peuple kanak demande son indépendance. Machoro était ministre de la Défense dans le gouvernement provisoire de la Kanaky future. Le PSU reçoit en février le leader du FLNKS Jean-Marie Tjibaou. Notre sectio organisera une réunion sur cette lutte.
  • Le PSU se bat également pour le droit de vote des résidents étrangers ; Paul Oriol écrit son premier livre : « Immigrés, métèques ou citoyens ? »

* Sophie : Quelle est alors l’atmosphère dans ton lycée Chaptal ?

* Guy : Les débats qui réunissaient dans une table du réfectoire ou en salle des profs 5 ou 6 passionnés de politique disparaissent peu à peu, remplacés par des débats sur la profession, les élèves. Cela pour diverses raisons : départs, âge, et aussi parce que la gauche au pouvoir affaiblit les besoins du peuple de gauche, qui, inconsciemment, délégue aux éluEs ! Le mouvement associatif a lui-même perdu sa virulence ! Pour moi, c’est la période où se développe mon hypocondrie ! Je me suis vu des cancers dans beaucoup de zones de mon organisme : prostate, colon, foie, poumons, tête, etc. Quand j’étais rassuré pour un endroit, vite un autre montrait des signes inquiétants ! Tu me demandes pourquoi cette apparition nouvelle. Le psychologue qu’Agnès m’a poussé à voir me suggère alors une réponse que je n’accepte pas. A chaque séance, il me répète obstinément : « Monsieur Philippon, avez-vous pensé à ce que vous ferez pendant votre retraite ? » Je lui réponds invariablement : « Je fais de la politique, je continuerai ! Je veux écrire mon histoire du PSU. Je veux écrire des poèmes, voire une pièce de théâtre ! Je n’aurai aucun problème ! »

  • C’est lui qui avait raison. Plus tard, voilà ma retraite. Je me recouche après le petit déjeuner, puis après le repas de midi. Je rêvasse et participe à quelques réunions le soir ? Le psychologue est affolé. Il essaie en vain de me pousser à voyager. Il faudra un certain temps pour que la politique me sorte du naufrage. En fait, mon travail de professeur était bien plus important pour mon équilibre psychologique que je ne le pensais. C’était une vraie communication avec des jeunes, un échange ; j’avais un rôle social : j’aidais des étudiants à devenir ingénieurs ; j’avais des relations amicales avec plusieurs collègues, et une activité syndicale !
  • Cette expérience peut être bonne à connaître pour de futurs retraités. Le passage est souvent un moment délicat ! En réalité, j’ai quand même eu à cette période de vrais soucis de santé, à côté des fantasmes. D’abord, concernant ma vue, fort mauvaise depuis ma naissance. Mon ophtalmo m’avait dit que les grands myopes risquaient des déchirures de la rétine qu’il faut soigner immédiatement par laser ; l’apparition d’un petit arc lumineux devait tout de suite conduire à voir le médecin. Cela m’arriva un dimanche ; donc série de rayons verts, à un rythme de mitrailleuse dans l’œil gauche (spectaculaire mais pas douloureux). Par sécurité cet ophtalmo me fera même des coutures par laser tout autour de l’œil, lors de 8 ou 10 séances d’une demi-heure !
  • De même, j’ai subi trois ou quatre fibroscopies de l’estomac et on m’a trouvé une hernie hiatale qui me provoquait un début d’ulcération. Elle ne se manifeste plus. Bizarre ?
divers
Trente sixième texte : Catastrophes écologiques

* Sophie : Comment se passe la participation du PSU au gouvernement ? Et quel bilan fais-tu, avec le recul ?

* Guy : D’abord, deux militants qui ont fait partie de notre section du 20e font partie du cabinet de la secrétaire d’état Huguette Bouchardeau : Michel Mousel qui est son directeur de cabinet et jouera un rôle déterminant, et Xavier Bolze, chargé des relations avec le parlement ; difficiles car le PSU n’avait pas de députés et il lui fallait passer par les députés PS. Xavier nous a raconté un épisode étonnant de la composition de l’équipe. Huguette voulait nommer dans son cabinet un universitaire reconnu comme un grand spécialiste de la nature. Malheureusement il n’était ni énarque, ni ancien d’une grande école ; et une règle, non écrite mais absolue, voulait que les cabinets ministériels soient totalement partagés entre les anciens de l’ENA, de Polytechnique, de Centrale, des Ponts et Chaussées, etc. Donc refus du Premier ministre et il fallut de longues discussions pour que cette nomination soit enfin acceptée ; une grande école obtint une compensation ailleurs ! Cette domination continue t’elle !

  • Je me souviens très bien que les débuts du ministère Bouchardeau furent « empoisonnés » par l’affaire Seveso, celle des fûts de dioxine, un polluant fort toxique et cancérigène qui, arrivés illégalement d’Italie, étaient dans des décharges.
  • Pour te parler de cette affaire et de sa date, je suis allé sur Wikipédia et j’y ai trouvé un véritable roman de science fiction qui justifie à 1000 % la nécessité du principe de précaution. Il faudrait ressortir cette affaire aujourd’hui. Elle commence le 10 juillet 1976 ; il y a seulement 40 ans. Ce jour-là, dans la plaine lombarde, quatre communes du voisinage de Seveso sont survolées par un nuage toxique. Il vient de l’explosion du réacteur surchauffé d’une usine chimique. Il n’existe pas de plan d’urgence, pas de données scientifiques ; on sait quand même qu’une des composantes du nuage a servi aux Américains dans la guerre de Viet Nam !
  • Les réactions seront lentes ! L’usine ne ferme vraiment que 8 jours plus tard ! Le 19 juillet, les laboratoires Hoffmann-Laroche annoncent enfin que le nuage contient de la dioxine. La vie continue quand même dans la zone contaminée jusqu’au 23 juillet, moment où le centre de recherches de Bâle affirme qu’il faut faire partir les personnes, détruire les maisons et enterrer l’usine ! Le 26 partent 225 habitantEs, puis 500 car la zone contaminée est plus grande. 193 personnes sont atteintes de chloracné (acné du à des produits chlorés) ; des dizaines d’animaux meurent ; les feuilles des arbres jaunissent.
  • Le bilan précis ne sera connu que 7 ans plus tard : 3300 morts d’animaux et 80 000 têtes de bétail abattues ! Par contre un seul homme mort : le directeur de l’usine, assassiné par une filiale des Brigades rouges italiennes ! En France, on déclare alors que 1250 sites sont « à risque », comme Seveso. La sécurité industrielle, la question des déchets, les contrôles, la transparence deviennent une priorité.
  • Il faudra que nous parlions de l’énorme catastrophe de Tchernobyl, en avril 1986, car là aussi sont en cause les questions de contrôle et de transparence. Les déchets qui restent radioactifs pendant des centaines, voire des milliers d’années. sont encore plus angoissants. A ce jour, des solutions satisfaisantes n’existent pas !

* Sophie : En quoi Huguette Bouchardeau fut-elle concernée, mobilisée concrètement par l’affaire Seveso ? Et puis, parle-moi des autres domaines de son activité.

* Guy : Par la recherche et la destruction des fûts Seveso, entrés illégalement, clandestinement sur notre territoire. L’émotion de la population est énorme :41 fûts auraient dû être incinérés à Bâle. Ils disparaissent à la frontière de Vintimille. Ils sont retrouvés dans l’Aisne, dans un abattoir désaffecté. Des boues de Seveso sont retrouvées dans le Bas-Rhin, dans la cour d’une ancienne prison où elles seraient encore. D’autres ont servi de remblais ou de terrasse d’été ! Enfin des fûts Seveso auraient été envoyés en Allemagne de l’Est ?

  • Enquêtes et solutions ont été délicates ! Tu vois combien le principe de précaution doit être vraiment appliqué ; C’est une belle démonstration !
  • Je ne garde pas de souvenirs précis sur mon vécu politique de cette époque car c’est la période où se multiplient mes ennuis de santé. Je découvre dans le livre de Bernard Ravenel que le bilan de Huguette Bouchardeau est loin d’être négligeable ! Les « contrats de rivières » associent désormais collectivités territoriales, riverains et usagers. Une loi de 1983 sur les enquêtes publiques concernant l’environnement « renforce l’indépendance et les attributions du commissaire enquêteur et accroît les pouvoirs des tribunaux administratifs pour prononcer les sursis à exécution », en particulier sur les plans d’occupation des sols. De même en juin 1984, une bonne loi sur la pêche protège les milieux aquatiques. Des rencontres ont lieu sur la chasse.
  • En juin 1985, c’est une première « écotaxe » sur la pollution atmosphérique (émissions de dioxyde de soufre) qui sera intégrée dans la taxe de Dominique Voynet TGAP (taxe générale sur les activités polluantes). Pour la même époque Bernard Ravenel qualifie l’accord obtenu avec l’Allemagne sur la « voiture propre », contre l’avis de Peugeot et de Citroën comme « l’acte le plus important survenu dans le processus de réduction des pollutions d’origine automobile en Europe ». Je te signale que Bernard était alors dans l’opposition à Huguette !

* Sophie : Le parti perçoit t-il tous ces aspects positifs ?

* Guy : Par sa présence au gouvernement Huguette cautionne les mesures économiques et sociales qui ne sont pas celles souhaitées par le PSU. Donc la distance entre la ministre et le parti, dirigé par Serge Depaquit, s’accroît et le congrès de Vénissieux est gagné de justesse par Depaquit avec 55%. Le parti se mobilise fortement sur deux thèmes où les divergences sont importantes avec aussi bien le PC que le PS : les euromissiles et l’immigration J’ai déjà évoqué, dans notre précédente rencontre, la. « guerre froide » entre les USA et l’URSS à propos de missiles stratégiques installés sur le sol européen.

  • Ce sont les Soviétiques qui, les premiers, ont installé des fusées SS-20, en Pologne, dirigées contre l’Europe. Fin 1983, à la demande du chancelier allemand, les Etats-Unis installent des fusées Pershing II en Allemagne. Les communistes français et le Mouvement de la paix manifestent contre les Pershing, mais ne disent rien sur les fusées soviétiques ! Le PSU réussit à réunir le CODENE et la CFDT pour une manifestation pour le désarmement nucléaire en Europe, contre les Pershing et aussi les SS-20, donc contre les deux blocs. Le PS interdit à ses militants d’aller aux deux manifestations ! Le PSU est le seul non aligné.
  • Je me souviens mieux de notre lutte sur l’immigration. La « marche pour l’égalité des droits», souvent appelée « marche des beurs », est décidée dans la cité difficile des Minguettes à Lyon. Cette initiative est suscitée par un curé, le père Christian Delorme, par ailleurs membre du MAN (mouvement pour une alternative non violente) et un pasteur, Jean Costil, membre de la Cimade. Elle s’inspire des actions de Martin Luther King et Gandhi. Elle part de Marseille le 15 octobre 1983, et se termine à Paris le 6 décembre, en y réunissant 100 000 personnes. Le PSU soutient activement cette marche, en particulier lors de l’accueil dans les étapes. Serge Depaquit et Huguette Bouchardeau l’accueillent à Amiens.
  • Bernard Ravenel, dans son livre rappelle le bilan dressé par Paul Oriol pour la commission « Immigrés » : « appel commun des cinq grandes confessions (catholique, musulmane, protestante, juive, orthodoxe), conférence de presse unitaire des partis de la majorité (sur l’initiative du PSU), présence de représentants de l’opposition dans la manifestation…réception à l’Elysée de « jeunes beurs » accompagnés par Georgina Dufoix et acceptation par Mitterrand du principe de la carte de dix ans, effectivement votée.

* Sophie : Votre groupe local du 20e arrondissement a du être tout particulièrement concerné par cette marche grâce à Paul Oriol ?

  • Guy : Nous avons réalisé une fresque. Dessinée par Claude Picart, elle fut déployée à la gare Montparnasse, lors de l’arrivée de la marche pour l’égalité. C’était un important travail militant. Comme chaque fois, j’achetais l’énorme tissu dans un magasin spécialisé de Montmartre, les pots de colle et les pinceaux. Claude arrivait chez moi rue Haxo, avec le dessin de la fresque sur une sorte de diapositive et un appareil de projection qui agrandissait sur le mur de mon salon le dessin à la taille de la future fresque.
  • Puis une équipe de 4 ou 5 militantEs, armée de crayons, recopiait sur le tissu les contours du dessin voire des lettres. Puis ils et elles prenaient les pinceaux et appliquaient la couleur voulue dans chaque zone délimitée. Des journaux empêchaient de salir le sol avec des gouttes vagabondes. Il ne restait plus qu’à nettoyer les pinceaux, rouler la toile pour l’amener le moment venu à son lieu d’exposition ou à la munir de bâtons pour une manifestation. Ces travaux se déroulaient dans la joie, les plaisanteries et les militantEs étaient fiers d’avoir produit un objet qui serait admiré.
  • Le PSU est aussi à l’origine du rassemblement d’associations en lutte pour obtenir la carte de dix ans, renouvelable, pour les immigrés et je t’ai raconté dans ma série d’aventures, souvent amusantes, vécues dans les commissariats de police, notre défense difficile des mariés turcs lors d’une arrestation pendant un collage pour cette carte de dix ans, dans notre arrondissement.

* Sophie : Et sur la politique européenne que se passe t-il sous ce gouvernement de gauche ?

* Guy : En juin 1984 a lieu une élection européenne qui sera une déroute pour le PSU. Il veut constituer une liste rassemblant les autogestionnaires et les déçus de la gauche, en particulier du PCF ; axée sur la réduction du temps de travail pour lutter contre le chômage, défendue par la CFDT. Les approches préliminaires aboutissent à un accord avec l’ancien candidat communiste au Conseil de Paris, Henri Fizbin et son groupe de « rénovateurs communistes ».

  • Fizbin refuse de critiquer la politique d’austérité du gouvernement socialiste et se déclare dans le journal du PSU « favorable à la force de frappe française » ! L’accord avec les Verts n’aboutit pas et entraîne le retrait du MAN et d’une partie des militants hostiles au nucléaire militaire. Bernard Ravenel et Claude Bourdet se retirent de la liste !
  • Tu attends le résultat ? C’est 0,73 %. Les électorats communistes et PSU sont décidément inconciliables. Le PC chute lui-même à 11,20 % ; le PS est à 20,75 %, les Verts à 3,36 %. Le FN progresse à 10,95 %, surtout dans le midi ! La droite RPR-UDF est à 43,02 %. Ce résultat catastrophique provoque bien évidemment un débat intense dans le PSU qui prépare le congrès de Bourges, prévu en décembre. J’ai quelque part effacé de ma mémoire cette période douloureuse ; mais je garde un souvenir précis (et désagréable) du congrès de Bourges où j’étais délégué pour une nouvelle et petite tendance). Je te raconterai
  • En juillet 1984 Fabius remplace Mauroy comme Premier ministre et Huguette devient ministre de plein exercice. Le gouvernement ne compte plus de ministres communistes. Le PCF quittera la majorité en septembre. La majorité nationale du PSU, conduite par Serge Depaquit, ne pose pas la question de la présence dans un nouveau gouvernement qui va accentuer la ligne sociale-libérale. Le chômage sera de 9 % de la population active en novembre 85. Claude Bourdet critique fortement la politique suiviste de son parti.