1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


divers
Cinquantième texte : La révolution Möbius

* Sophie : As-tu fait du bricolage ? Et pas seulement des mathématiques ?

* Guy : Oui. Je ne sais pas d’où m’est venue l’envie de me lancer dans la reliure ? Admiration de belles reliures ? Envie de mettre en valeur mes 27 volumes des « Hommes de bonne volonté » de mon écrivain préféré Jules Romains ? Je ne connaissais pas d’ami passionné par cet artisanat. Je visite les petites entreprises spécialisées. J’achète une brochure d’initiation, quelques outils, du carton pour les couvertures et une presse.

  • En fait, j’ai réalisé trois reliures : le premier volume des « Hommes de bonne volonté », un cours de Calcul différentiel et intégral et un cours de mathématiques spéciales. Je suis fier du résultat !
  • Le travail préliminaire consiste à démolir le livre acheté, à recoudre tous les feuillets. Il est long, fastidieux. Le choix des papiers de couverture est agréable, mais compliqué par les hésitations.. Je me souviens de la colle mise dans une vieille boîte de conserves dont mon père avait découpé et retourné le haut, pour encoller les feuillets au dos du livre, de la mise sous presse avec les deux couvertures. Et aussi de la joie devant l’œuvre finale !
  • Tu n’as sans doute pas connu la grande mode des scoubidous, à laquelle je me suis conformé. Cette mode est apparue au début des années 1960 et a resurgi au début des années 1980, avant ta naissance ! Ce sont de longues tresses de fils de deux ou plusieurs couleurs, qui pouvaient servir de porte-clefs, se mettre autour du cou, etc. J’en ai fabriqué ; mais je suis incapable de t’expliquer clairement comment on fafrique son scoubidou. Je me souviens seulement que l’on fait se chevaucher deux fils voisins de couleurs différentes, avant de les retourner. Ce qui est certain, c’est que le résultat final mixe bien plusieurs couleurs.
  • J’ai connu également la mode des yo-yo, des cerceaux, du croquet et des « mécanos » permettant de construire avec des tiges métalliques de grandes structures (mais je n’ai pas le souvenir d’une belle réussite). De même, j’ai abouti à un échec avec la réalisation en matières légères d’un modèle réduit d’avion. J’avais eu pourtant les matériaux adéquats. Mais l’avion achevé et beau n’a pas réussi à voler !

* Sophie : As-tu touché à des travaux « professionnels », si je peux dire ?

* Guy : J’ai beaucoup aimé découvrir un métier manuel, qui peut être dangereux. Je ne l’ai pratiqué que partiellement et le seul « accident » qui me soir arrivé, je me le rappelle fort bien, est un douloureux coup de soleil sur mon dos dénudé qui perturba mes nuits ! C’est le métier de couvreur, l’homme qui pose nos toits ou les répare. J’habitais chez mes parents, à Ajain, Il y a bien longtemps.

  • Tu ne connais peut-être pas la façon dont se fabrique un toit. Alternent des structures horizontales et des structures verticales. En commençant par le bas tu trouves : les énormes poutres horizontales, puis les chevrons, puis les lattes et enfin les ardoises ou les tuiles. Pour un petit appentis, mon père avait tout préparé jusqu’aux lattes incluses ou non (je ne me souviens plus bien). Il m’avait appris à poser les ardoises et j’ai fini seul ou presque.
  • Tu grimpes avec une échelle ; tu cales tes pieds sur une latte ; tu arrives avec un paquet d’ardoises que tu cales entre deux lattes ; tu poses un crochet sur la latte choisie puis l’ardoise dans le bout du crochet ; et les ardoises voisines, côte à côte. Le toit bleuit peu à peu et les lattes disparaissent. Un travail délicat arrive quand, en fin de rangée il faut poser une moitié d‘ardoise ; il faut couper avec les délicats coups d’un petit marteau.
  • Je pense que j’ai laissé mon père finir les dernières rangées lorsque tu ne peux plus caler tes pieds, faute de latte « vierge ».Je fus très fier lorsque le toit fut totalement bleu et le dessous sombre, à l’abri de la pluie.
  • Je t’ai déjà parlé de la construction d’une allée dans la cour de notre maison de La Celle Sous Gouzon, de mon terrassement. J’ai envie de te décrire le plaisir que j’ai eu à préparer du mortier.. J’en ai fait beaucoup plus tard à Nîmes chez Jean Biscarros. Il posait de nouveaux carreaux dans deux pièces du rez de chaussée de sa maison.
  • Je te raconte mon initiation en Creuse. Je commence par étaler deux longues plaques de zinc, pour protéger l’herbe. J’ai acheté une brochure pour connaître les dosages entre le sable et le ciment. Je dépose sur les plaques le volume adéquat de sable. J’en fait un cône, un petit monticule. Je pratique un cratère dans lequel, sur un côté, je dépose le ciment voulu. Puis je verse de l’eau dans le cratère. Enfin, avec une pelle je mélange peu à peu le ciment, le sable et l’eau. Ainsi arrive le ciment qu’il ne faut pas tarder à utiliser, avant qu’il ne sèche. J’aimais beaucoup ce mélange ! C’est mon père qui l’étalait sur les gravillons, le lissait, en une surface bien horizontale.

* Sophie : Pas d’accident dans tous ces travaux « annexes » ou d’incidents ?

* Guy : Un souvenir étonnant. Je suis sur une plage de la mer du Nord, avec mon ami Yves Dorel et d’autres camarades. Je nage avec mes lunettes, pour être certain de repérer le côté où se trouve la plage par rapport à la haute mer. Je plonge avec délices sous de beaux rouleaux, avant d’atteindre la zone moins agitée. Et puis, plus tard, je ne baisse pas assez la tête sous un gros rouleau qui arrache mes lunettes. Catastrophe ! Car je suis venu en scooter et ma vue n’est pas brillante. La marée est montante et recouvre peu à peu la zone où j’ai perdu mes lunettes. La dizaine de camarades se met donc à chercher, en urgence. En vain !

  • Seuls, Yves et moi continuons, inquiets. Yves voit un morceau de verre briller à quelques pas de lui. Espoir ! Espoir déçu, car c’est du verre, mais pas des lunettes. Drame ! Mais, à un ou deux mètres plus loin, nous voyons une branche de lunettes sortir du sable qui est en train de la recouvrir. Je suis choyé par le hasard. Ouf !

* Sophie : As-tu utilisé ta culture mathématique dans ta vie concrète, quotidienne ?

* Guy: Je vais essayer de t’expliquer, le plus clairement possible, comment tu pourrais construire une belle structure qui décorerait ton salon et pour laquelle tu pourrais faire preuve d’une véritable érudition mathématique D’ailleurs, j’ai rêvé pendant plusie* urs années de me faire construire une bibliothèque totalement originale, dont la façade aurait la forme d’une surface que j’ai enseignée dans ma classe de mathématiques spéciales du lycée Chaptal.

  • C’est une surface dont j’adore la magnifique courbure ; tu peux l’imaginer à partir de la partie incurvée d’une selle de vélo, en oubliant son bec si méchant pour les malheureuses fesses. Elle est « réglée », c’est à dire qu’elle peut s’obtenir avec des droites, d’où son utilisation par des architectes. Elle a été utilisée par plusieurs architectes dont Le Corbusier et ressemble à la façade du siège du parti communiste, place du colonel Fabien.
  • Tu peux en construire une toi-même, chez toi, entre deux plateaux parallèles, en bois, comme le sol et le plafond d’une pièce, tenus écartés par des « murs . Entre eux, de chaque côté, tu fixes deux tiges métalliques inclinées différemment. Tu intercales entre ces deux extrêmes, plusieurs autres fines tiges, dont les inclinaisons varient peu à peu, progressivement, de façon à réaliser une continuité esthétique avec les deux tiges du départ. Puis tu relies toutes ces tiges par des fils, horizontaux, parallèles entre eux et parallèles aux deux socles. Tu peux choisir des fils de couleur éclatante, différente de celle des tiges qui sont « debout ». Si tu as mis suffisamment de fils, une magnifique courbure est perçue clairement à l’œil.
  • Cette surface a un nom fort savant : « paraboloïde hyperbolique », qui impressionnera tes amis ! . Elle n’est pourtant que du second degré pour son équation ! .J’ai donc réalisé cela en maquette pour étudier mieux le nombre de rayons de ma bibliothèque, leurs écartements. Mais je me suis empêtré dans la mise en équations, et j’ai été pris par d’autres activités. J’ai eu une grande bibliothèque classique. Fin du rêve mathématique ! Mais j’adore toujours cette surface !
  • Le ruban de Möbius prouve qu’il faut bien définir, avant toute discussion, de façon précise, ce dont on parle. Sinon les désaccords sont stupides ! Le ruban démontre qu’en géométrie, l’orientation gauche-droite peut ne pas pouvoir être définie. Et si, en politique, on essayait de définir ce que l’on appelle gauche en 2017 !!
  • Avec Möbius, tu dis qu’il existe des surfaces n’ayant qu’un seul côté, où il n’y a ni dessus, ni dessous !Tu ne me crois pas ? Alors, suis-moi bien. Je dis : « Pour savoir si deux personnes sont du même côté d’une surface, on peut dire que c’est le cas s’il existe un chemin qui ne traverse pas la frontière de ladite surface, pour aller d’une personne à l’autre ; disons, dans une commune, pour toi et moi ? Cela semble rationnel ?
  • Eh bien ! Prends un ruban de papier de 3 cm de large et fabrique un bracelet avec ; mais, au moment de fixer les deux bouts tu fais tourner l’un d’eux, une fois. Le bracelet est légèrement tordu. Tu dis : regardez bien ; j’ai le pouce et l’index des deux côtés ; je pars de l’index avec un crayon tenu de l’autre main ; je suis le bracelet sans traverser les bords et j’arrive au pouce. Donc mon pouce et mon index sont du même côté du ruban, avec la définition que vous acceptiez. OK ?
  • Il est amusant de couper dans son axe ce ruban et de demander aux amiEs ce qu’ils prévoient comme résultat. Très peu devineront ! Pour te dire, on obtient un seul ruban, deux fois plus long, vrillé et qui, lui, a deux côtés, par rapport à notre définition. Encore plus instructif si tu coupes dans le sens du ruban en partant au tiers de la largeur. Si tu pars à gauche, tu arrives à droite, à la même hauteur ; cela prouve qu’il devient impossible sur une telle surface de définir la droite et la gauche. Si tu continues à couper, tu obtiens deux rubans, entrelacés: un grand qui, lui, a deux côtés, et un petit pour lequel je te laisse constater s’il a un ou deux côtés !

* Sophie : Quel souvenir gardes-tu de ton enseignement ?

* Guy : Dans mes rêves, je me retrouve souvent en professeur de maths. Très souvent, j’improvise. Je me souviens d’un rêve où je faisais au tableau noir une très bonne leçon de géométrie descriptive. C’est lié à ce dont nous venons de parler.

  • La géométrie descriptive a été inventée, en 1799, par Gaspard Monge pour représenter les solides et leurs intersections avec une précision de l’ordre du millimètre. Elle consiste à projeter les volumes orthogonalement sur deux plans perpendiculaires (plan horizontal et plan frontal), avec des « lignes de rappel » pour établir les correspondances. C’est utile en architecture, dans l’industrie et même dans l’armée, pour fabriquer des canons par exemple.
  • On l’enseignait dans les classes préparatoires aux grandes écoles . Mais l’ordinateur permet maintenant de faire cela plus facilement et la descriptive a disparu de l’enseignement, ce qui est un peu dommage car elle apportait une formation bien spécifique (les élèves brillants en descriptive ne l’étaient pas obligatoirement ailleurs). En ce qui me concerne, j’ai fait une trentaine d’épures de géométrie descriptive (belles) comme élève et je l’ai enseignée dans la seule classe prépa qui le programmait encore. Comme étudiant, j’ai de mauvais souvenirs pratiques, dans l’usage du tire-lignes, trop serré ou pas assez, donc donnant des lignes invisibles ou ridiculement larges. Ma mauvaise vue me gênait également !
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Quarante neuvième texte : Lumières sur la Creuse

* Sophie : Comment réagis-tu chaque fois que la référence à un endroit rétrograde est symbolisée par la Creuse, ton pays?__

* Guy : Sans colère, mais avec tristesse, car je comprends l’origine de ces idées négatives. La Creuse est devenue le souvenir de la France agricole, un beau souvenir d’ailleurs. La Creuse est un département relativement pauvre et qui s’est beaucoup dépeuplé. Aucune grande industrie ne s’y est installée. Aucune autoroute n’y passe. Le sol n’est pas celui de la Beauce ; la vigne ne résisterait pas aux froids de l’hiver ; les exploitations agricoles ont été longtemps très petites ; aucune culture n’est dominante et c’est l’élevage qui est le plus rémunérateur., ce qui est relatif !

  • Pour les Creusois l’ascension sociale passe par la fonction publique : l’enseignement, la poste, la SNCF, la police, l’administration. J’en suis l’un des exemples ! Des médecins et des infirmières complètent ce bilan des classes moyennes creusoises. Les Creusois travaillent donc souvent hors de leur pays natal. L’association des Creusois de Paris regroupe plusieurs milliers de personnes et nous n’en sommes pas toutes et tous adhérentEs !
  • Je crois vraiment que mon pays est un beau pays, sans grand château historique, sans la chaleur de la Côte d’Azur ou les vagues de l’océan ; mais avec de nombreux lieux intéressants, témoins remarquables de la vie rurale et artisanale de diverses époques, avec le charme des petites routes qui serpentent entre les bois, celui des nénuphars sur de multiples petits étangs et la beauté de vallée de la Creuse. La variété des paysages, des collines et des plateaux comme celui de Millevaches au sud, la paix tranquille qui s’en dégage, le calme loin des turbulences urbaines, séduisent bien des artistes et des écrivains !
  • Tu ne sais certainement pas qu’il y a une importante école de peintres impressionnistes creusois, créée par Armand Guillaumin, peintre le plus fidèle aux impressionnistes français, mort en 1927. En effet Claude Monet et Francis Picabia ont été fascinés par les vallées des deux Creuse et de la Sédelle, à Crozant, avec leurs rochers de granit, les bruyères et les ruines. Les couleurs y sont tellement variées suivant l’heure, la présence de nuages ou de neige, suivant la saison (l’automne avec une palette échelonnée entre les rouges violents et les jaunes pâles ou le printemps avec la fraîcheur des verts naissants). Ils y ont beaucoup peint et on fait école !
  • Je revendique Georges Sand comme écrivain de notre région, même si elle a surtout vécu un peu plus au nord, à Nohant dans l’Indre. Car elle a vécu aussi dans le nord de la Creuse, à Crozant et à Gargilesse voisins
  • Nous emmenons la plupart des amiEs qui viennent à Aubusson. Je suis fasciné par les tapisseries modernes d’Aubusson. Elle est inscrite par l’UNESCO dans le « patrimoine immatériel de l’humanité ». Manufacture royale depuis 1660, elle a connu un nouveau triomphe avec l’arrivée de Jean Lurçat en 1939. J’aime beaucoup les tapisseries modernes de Lurçat, Don Robert, etc. aux couleurs vives, aux peuples d’animaux. A Aubusson, on peut voir travailler les « lissiers »
  • Pars avec moi de ma maison de La Celle Sous Gouzon en vélo. Pentes rudes et descentes vertigineuses se succèdent sur 20 km. La dernière ascension nous pose aux « Pierres jaumâtres ». Un chemin raviné par les pluies monte, entre les vieux arbres, les fougères et les bruyères. Puis apparaissent d’énormes blocs de granit qui sont parfois en équilibre incongru. Les amiEs se photographient entre deux énormes blocs dont le supérieur, gigantesque , semble prêt à glisser !Georges Sand y a situé son roman « Jeanne » et des légendes y sont nées. Tu peux admirer ces spectaculaires rochers sur Wikipédia.
  • Tout près de ma maison, se trouve également la Réserve Nationale Naturelle protégée de l’étang des Landes, étang créé en 1684, 166 hectares, 400 espèces végétales et 600 espèces animales. On peut, depuis des cabanes en bois, observer de nombreux oiseaux, dont un certain nombre d’espèces protégées. Je fais « dépliant touristique » ! Mais combien de Creusois chanteront l’amour de leur pays natal ? J’assume ce chauvinisme, comme le l’assume pour la France lors des compétitions de rugby
  • A 20 km, le monastère du Moutier d’Ahun est assez remarquable, dont des boiseries exceptionnelles avec des animaux fantastiques et le pont médiéval y est vraiment original. De même la grande abbaye de Chambon sur Voueize vaut la visite, comme le château de Boussac.
  • La visite du lac de Vassivière, au sud de la Creuse, au nord ouest du plateau de Millevaches, demande par contre de partir pour une journée entière. Le lac a été créé pour produire de l’électricité au début des 30 glorieuses. Un barrage a été construit entre 1947 et 1950 ; il a fallu trouver plusieurs sources d’alimentation. Une quinzaine de foyers ont dû être fermés à cause de la création du lac, mais bien d’autres ont été construits. La superficie du lac est de 10 kilomètres carrés. Le volume d’eau est de 106 millions de mètres cube. L’usine du Mazet produit assez d’électricité pour une ville de la taille de Brive

* Sophie : As-tu fait du sport, du vélo ?

* Guy : J’ai fait pas mal de natation. Jeannot et moi avons appris à nager, seuls, sans leçons, dans l’étang des Signoles et je t’ai raconté notre première traversée imprudente de l’étang. Je nageais alors avec plaisir « à l’indienne », brasse pratiquée sur le côté. J’ai mis un certain temps à adopter la brasse coulée, car j’hésitais à mettre la tête dans l’eau à chaque brasse. J’ai eu du mal à réussir le crawl et ses respirations. J’ai fini par le faire facilement mais je n‘ai pas réussi la nage papillon Je n’ai jamais pu faire plus de 10 mouvements !

  • C’est en vélo très souvent que j’ai visité tous les lieux proches dont je viens de te parler ! Je t’ai raconté l’achat de mon vélo de course quand j’étais en « taupe « à Henri IV. J’en ai acheté un plus moderne en Creuse. Et quand j’étais seul avec mes parents je faisais environ 80 km chaque jour : 20 le matin et 60 l’après-midi. Le matin, j’escaladais presque 10 km de côtes assez dures vers Toul Sainte Croix et je jouissais de la grande vitesse au retour
  • Je ressens encore, en te parlant, les sensations que j’éprouvais. Les boyaux glissent sur le sol, tout en s’y accrochant bien. La machine, légère, répond, docile, à chaque effort des jambes ! Les descentes sont des jouissances infinies ; la vitesse me grise ; les prés et les vaches défilent ; je suis dans la nature ; pas de glaces interposées, pas de bruit de moteur ; le léger sifflement de la vitesse ; l’élan pour la prochaine côte dont le premier virage est avalé sans effort ! La joie, au sommet de la côte, quand elle a été domptée !
  • La bonne récupération du soir. Maintenant, quand nous prenons ces routes en voiture, je me souviens à merveille de chaque virage, de chaque descente et de ses particularités, du nombre de kilomètres ! Je revis une époque. Le pénible était la crevaison des boyaux et les difficultés pour les changer. Sortir la roue, la séparer du dérailleur et se salir avec la chaîne, décoller le boyau : remettre de la colle sur la jante et, surtout, le plus difficile forcer pour remettre le boyau neuf ! Horrible ; A oublier !
  • Je ne suis pas fier des « exploits sportifs » que j’ai accomplis une année ou deux. C’était stupide. Je voulais maigrir. J’avais tout l’attirail d’un coureur cycliste : les chaussures adéquates, les gants spéciaux aux doigts coupés, la culotte avec un renfort de velours sur les fesses car les selles sont très dures, le tricot de couleur, sans marque ou indication de club (j’avais eu tout cela par la CAMIF).
  • Mais je voulais transpirer au maximum. Donc je partais avec deux tricots plus un blouson, deux slips et, dans mon sac à dos, des rechanges pour la pause quand tout cela était trempé. A la pause, je rajoutais, dans un pré, une séance de gymnastique. Le soir je me pesais, satisfait d’avoir perdu deux kilos. Mais j’avais perdu essentiellement de l’eau que je regagnais assez vite et complètement au retour à Paris. Les kilos perdus ressuscitaient Tactique absurde
  • Agnès m’a, ensuite, poussé à faire également de la marche, dans les chemins, autour du bourg ;

* Sophie : Que peux-tu me raconter de plus sur ton pays ?

* Guy : A un kilomètre de ma maison, se trouve un petit village pittoresque, La Spouze, qui fut habité par l’illustrateur et caricaturiste célèbre Pierre Gavarni. Son atelier est maintenant la propriété de René Bourdet qui, en plus, possède une vieille et belle ferme. Paysan et poète, « insoumis », René a vécu à Paris en théâtreux. Depuis treize années il anime, pendant chaque semaine de l’été, les soirées de La Spouze. Dans l’atelier ou dans la cour de sa ferme, quand il fait beau, ont lieu des soirées culturelles. Le lundi est plutôt littéraire, avec de remarquables conteurs ; et le jeudi est dédié à la musique ou à la chanson. Il réunit une petite centaine de personnes et offre à la fin des morceaux du gâteau des « Comtes de la Marche » produit dans la commune.

  • René a quatre-vingts ans. Mais « le vieux lion rugit encore » comme dit un journal ! Je viens de recevoir le 317 éme numéro de son petit fascicule de poèmes « Œil de Fennec ». Il a animé avec son fils Boris deux vendredis de la Teinturerie, le premier sur Jaurès, le second sur Boris Vian.
  • En Creuse, je n’ai pas du tout d’activité politique. Mais je suis désolé de voir que ma commune vote FN ces derniers temps. Pourtant ici, comme presque partout en Creuse, on ne voit aucun noir, aucun maghrébin, aucun « réfugié ». Les seuls immigrés sont des Anglais ou Néerlandais ; Difficile de penser qu’ils font peur !
  • Il n’y a pas de crime, pas beaucoup de vols. Ce doit être la télé qui suscite les peurs ou bien c’est le sentiment d’être oubliés par la société, méprisés ? René Bourdet dit qu’ils savent bien qui vote FN et que ce sont des vieux ou des jeunes qui ne sont jamais allés à plus de 50 km ! Ce phénomène n’existait pas en Creuse il y a trente ans et le FN faisait des scores minables ? Que faire ?
  • Il y a 5 ans beaucoup d’Anglais ont acheté de vieilles maisons dans nos villages et les ont remises en état. Mes voisins sont depuis peu des Anglais. On parle anglais dans notre supérette proche. On dit qu’il y a un mouvement de retour en Angleterre, à cause des rapports entre la livre et l’euro ??
  • Je ne peux pas parler de la Creuse, sans parler de l’homme le plus célèbre dans notre Histoire : Martin Nadaud, qui a une place dans mon arrondissement de Paris. Né en 1815, il part, dès l’âge de 14 ans, à Paris, avec son père, comme apprenti maçon. Il découvre les conditions de vie scandaleuses des maçons : journées de 12 à 13 heures, chutes depuis les échafaudages, malnutrition, logements insalubres. Il se casse même les deux bras plus tard. Les maçons et tailleurs de pierre venus construire le Paris haussmannien sont 'alors des migrants venant des régions pauvres de France avec "laisser passer" à présenter aux "frontières "internes !!! Il découvre les idées socialistes et communistes, participe à la Révolution de 1848 et est banni en 1852 par Napoléon III (Belgique, puis Angleterre).
  • Bien plus tard, en 1870, Gambetta le nomme préfet de la Creuse dont il sera député entre 1876 et 1889. Sa maison, à La Martinèche, près de Soubrebost est fort intéressante à visiter pour comprendre cette époque.
  • Dans le sud de la Creuse, des citadins français sont venus s’installer et ont créé des activités écologistes, en particulier en partant du bois. Ils ont paraît-il redonné vie et démocratie localement. De nouveaux commerces se seraient même installés dans ce village.