* Sophie : Tu m’as parlé du trésorier de ta section PSU ! Il devait y avoir d’autres personnes importantes ? Des amis proches?

* Guy : Oui. C’est le cas d’un couple dont j’ai envie de te parler. Paul Oriol et Anne Couteau arrivent en 1972 d’Algérie où ils ont été coopérants depuis 1964 et ils resteront dans le 20e jusqu’en 1988. Dès leur arrivée, ils trouvent dans leur boîte à lettres une convocation de la section PSU pour l’action de résistance à l’expulsion des travailleurs africains du foyer de la rue Bisson. Paul ratera de peu l’aventure du « Commissariat qui chante l’Internationale » que je t’ai racontée.

  • Très vite, Paul crée le GAI (Groupe Action Immigrés) de la section qui, chaque semaine, réunit chez lui 5 à 10 militantEs du PSU dont Antoine Glaser, actuellement rédacteur en chef de « Africa intelligence » et de « La lettre du continent », auteur de plusieurs livres sur l’Afrique.
  • C’est Anne qui a trouvé la teinturerie de la rue de la Chine que nous avons achetée pour y faire le local du PSU et d’associations du quartier. Il a effectivement servi à de très nombreuses associations que je ne peux pas toutes énumérer : groupe femmes, le groupe transports 20e , la campagne anti Outspan contre l’ Afrique du sud de 1975, « Terminal », la revue critique sur l’informatique, la revue « Tribune Anarchiste Communiste », maintenant Résistance à l’Agression Publicitaire, etc.
  • C’est Paul qui a proposé le nom « Eglantine » pour nommer la structure qui gère ce local. Car l’églantine est une rose certes, mais une rose sauvage, indocile aux cultures. De même, c’est lui qui a proposé le titre : « Les Pavés de la Commune » pour notre journal local, référence à la Commune de Paris et au travail sur les pavés locaux. Chaque semaine il y écrivait « les mauvaises lectures de Polo », billets courts tirés de journaux racontant des faits drôles ou symboliques. Ces textes étaient la première chose que lisaient les « abonnés.
  • C’est Anne qui, chaque dimanche, allait apporter TS, le journal du PSU, aux personnes que Paul et moi avions contactées au porte à porte.
  • Paul n’aimait pas dire qu’il était médecin. Mais il a réussi l’exploit de casser l’habitude de fumer pendant les réunions, car il était spécialiste des poumons. Il est maintenant en retraite, mais il a toujours une capacité subtile et rapide à détecter les pièges politiques ou politiciens, les manœuvres et les perspectives vision naires ou détestables. Il écrit régulièrement des textes intéressants sur son blog « pauloriol.over.blog.fr » et participe souvent à des manifestations.

* Sophie : Paul semble avoir été vraiment passionné par les questions touchant à l’immigration ? A quel niveau milite-t-il ? * Guy : La section PSU soutient, en mai 1973, la grève de la faim de 56 travailleurs tunisiens. Il s’agit déjà de l’obtention de papiers pour le séjour en France. Leurs lits de camp sont installés dans la crypte de l’église de Ménilmontant grâce à l’accord du curé Pierre Loubier dont l’engagement et le rayonnement sont exceptionnels. Paul et moi, nous faisons même un jeûne de soutien pendant les 3 jours d’un week-end prolongé et participons à la joyeuse provocation qui consiste à distribuer un tract expliquant les motifs de la grève de la faim aux personnes faisant la queue place Gambetta pour voir le film « La grande bouffe »

  • A la fin de cette action est créé un Comité français-immigrés qui regroupe en plus des militants du PSU quelques militants sur l’immigration du quartier en particulier de la CFDT.
  • Paul a été un animateur tenace de la commission nationale Immigration du PSU et un partisan précoce du droit de vote des résidents étrangers non-membres de l’Union européenne à une époque où les organisations des immigrés le refusaient catégoriquement, y voyant un début d’intégration à la société française, alors qu’ils organisaient des luttes et rêvaient du retour au pays.
  • Il a participé activement à la campagne « pour une citoyenneté européenne de résidence » puis à la « votation citoyenne » lancée par Saïd Bouziri de la Ligue des Droits de l’Homme et dont il sera l’un des piliers. Il a été l’un des créateurs de « La Lettre de la Citoyenneté » et longtemps l’un des rédacteurs. Il a de même été un pilier du sondage annuel organisé par cette Lettre.
  • Il a écrit trois livres : « Les immigrés, métèques ou citoyens » publié par Syros, éditeur créé par le PSU en 1985, puis « Les immigrés devant les urnes » publié par L’Harmattan en1992 et « Immigrés, citoyens ! Plaidoyer pour une citoyenneté européenne de résidence » publié par Presses pluriel en 2003, disponible sur le site.
  • C’est dans le 20e que Paul provoque la réalisation de la grande fresque carrée, de 4 ou 5 mètres de haut, qui représente un CRS et un policier en train de frapper un jeune immigré bâillonné. Le dessin est de Claude Picart, longtemps secrétaire de notre section, qui a réalisé également, sur la demande de Paul et pour impression par la direction nationale du PSU, les trois belles affiches sur les immigrés avec un travailleur, une femme et un jeune (Faire leur place aux enfants d’immigrés). La fresque figure sur la grande affiche qui en rassemble une douzaine symbolisant les divers aspects de la vie du PSU (fêtes, luttes internationales, luttes du cadre de vie, etc.) pour le 50e anniversaire de sa naissance.

* Sophie : Pour faire quoi, cette fresque ? Décoration d’une salle ? Vente ?

* Guy : C’est un grand moment de la vie de notre section que le défilé avec cette fresque dans une manifestation. La hauteur était telle que, pour les montants, j’ai dû boulonner bout à bout deux fois 2 tiges métalliques. L’habitude était de faire des trous dans les banderoles pour atténuer la pression exercée par le vent au cours du défilé : cette fois, pas question de faire le moindre trou. Mais, le jour de la manif, la force du vent était telle que, en plus des 2 porteurs de l’œuvre (assez lourde), il a fallu 2 rangées successives de militants à l’avant et même chose à l’arrière pour tirer sur les cordes, garder la verticalité et avancer…. et il a fallu se relayer ! Notre cortège occupait entre 20 et 30 m du défilé et les virages aux carrefours étaient laborieux !

  • Ce dessin orne aussi la couverture cartonnée d’un fascicule de 20 pages de la 20e section du PSU intitulé : « Travailleurs immigrés : Renseignements pratiques sur la législation » C’est l’œuvre du Groupe Action Immigrés de la 20ème section, imprimée sur notre Gestetner qui était encore installée dans mon appartement.
  • Nous réaliserons avec Claude Picart une autre fresque qui sera exposée devant la gare Montparnasse au moment de l’arrivée à Paris de la Marche pour l’égalité en 1983. Enchaînement parfait pour parler du travail du groupe immigration au niveau national, avec Paul et entre autres, Pierrot Régnier ou Gérard Desbois. Ce dernier, ancien président de la Fasti, est, avec Paul, à l’origine de la campagne pour la « carte unique » valable 10 ans et renouvelable automatiquement pour les travailleurs immigrés.
  • Il faut « vendre » cette idée aux diverses organisations qui soutiennent les immigrés car c’est par leur poids seulement qu’elle pourra aboutir. Et ça marche si bien, notamment grâce à la Fasti très active dans la marche et à Suzanne Chevalier de la Commission Immigrés du PSU que, lorsque les animateurs de la « Marche contre le racisme et pour l’égalité » sont reçus avec Georgina Dufoix à l’Elysée par François Mitterrand, celui-ci leur demande ce qu’ils veulent et qu’ils répondent « la carte unique de 10 ans », Mitterrand leur répond « va pour la carte de 10 ans ! » Il se fera expliquer ensuite, par le père Delorme, ce que cela signifiait et la mettra en œuvre. Hélas la droite, lors de son arrivée au pouvoir, a réussi à réduire beaucoup cette avancée ; et ce n’est pas une priorité pour la gauche.
  • Je t’ai raconté, à propos de cette carte de 10 ans, l’aventure que nous avons vécue Anne Couteau et moi, avec nos mariés turcs !

* Sophie : Tu as l’air d’avoir une affection particulière pour ce couple ?

* Guy : Oui, je crois, et les liens sont plus amicaux que politiques, même si je suis venu assister Paul à de nombreuses réunions hebdomadaires de la commission nationale Immigration. Paul a rarement voté les mêmes textes d’orientation que moi. Après la mort du PSU, en 1990, nous nous sommes retrouvés tous les deux membres de l’Alternative Rouge et Verte ; lui n’est pas venu aux Verts, comme moi début 1998.

  • Conscient du danger que représentait le travail idéologique du Club de l’Horloge, il a essayé de créer le Club du Réveil avec quelques intellectuels dont des jésuites très engagés en faveur des immigrés. Malgré sa ténacité il n’a pas vraiment réussi dans la durée !
  • Quand j’ai, pour la seule fois de ma vie, en 1995, été élu conseiller d’arrondissement dans le 20e, sur une liste de rassemblement, Paul m’a proposé un marché. Il viendrait de son domicile de Versailles, chaque mardi, pour m’aider dans mes dossiers de coprésident du conseil de quartier Plaine ; à condition, qu’en contrepartie, je vienne faire une marche avec eux d’une heure le mercredi. Ce sera excellent pour ta santé ajoutait-il. Marché accepté et tenu des deux côtés, y compris lorsque nous n’étions plus dans la même organisation.

* Sophie : Je crois qu’il y a une autre personne avec la quelle tu as des liens sentimentaux et qui a joué un rôle politique dans ces périodes ?

* Guy : Oui, c’est Agnès Bellart ; mais elle n’a pas été importante dans les mêmes domaines. Je pense à l’animation de l’Union locale CFDT par un groupe presque exclusivement féminin, formé de membres du PSU ou de sympathisantes proches, autogestionnaires. Et le rôle d’Agnès Bellart a été fondamental, comme organisatrice, coordinatrice, fédératrice. C’est nettement grâce à elle que l’Union locale de l’arrondissement a résisté un bon moment à la normalisation par la Cfdt, seule dans Paris.

  • Agnès a été l’une des animatrices d’un comité de chômeurs de quartier, pour lequel la section a produit une affiche en sérigraphie. De même pour les Comités de soldats. Le compagnon d’une camarade CFDT et PSU, Geneviève, avait été arrêté. Il était donc logique que les deux organisations se mobilisent sur ce thème. PSU et CFDT furent en étroite coopération sur l’immigration, la grève de la faim des Tunisiens, les foyers de travailleurs migrants: Bisson, Mûriers,, la vente des montres Lip, l’entreprise Honeywell Bull, les PME du 20e en difficulté, etc.
  • Les liens amicaux forgés dans ces. luttes survivent des décennies après et 5 militantes se retrouvent une ou deux fois par an à l’occasion d’une bouffe. J’ai mis au féminin car dans les 5 il y a un seul homme Claude, mari d’Elise (plus moi).
  • Agnès est la trésorière de l’Eglantine et gère le local de la rue de la Chine où les Verts ont succédé au PSU : récupération des loyers, paiement de l’assurance, du téléphone, des petits travaux, distribution des clefs, rangements et propreté, etc. Pas mal de soucis.
  • Nous avions craint que la grande devanture en verre soit cassée. Nous n’avons eu aucun incident jusqu’à la candidature à la présidentielle d’Eva Joly. Un cinglé ou un ennemi a rendu la serrure inutilisable à plusieurs reprises et nous a obligés à mettre un cache sur le trou de la serrure ! D’où soucis et boulots supplémentaires pour Agnès. Elle est régulièrement présente aux vendredis de la Teinturerie.
  • Agnès assume actuellement des activités dans plusieurs associations : le conseil de quartier Belleville, avec ses nombreux problèmes, l’association « les coteaux de Belleville », la permanence d’aide aux immigrés sans papiers chaque mercredi, avec le suivi des dossiers, le jardin partagé Leroy Sème. Cela l’amène à écrire parfois des articles pour le journal local « L’ami du 20e. ».
  • Et je ne parle pas de tout le travail qu’elle fait pour moi, comme à l’occasion des fuites d’eau dans ma maison creusoise.