1956-2006 : 50 années de vécu militant à plusieurs étages
Des polémiques d’hier à celles d’aujourd’hui.
Du vécu local aux événements historiques.
Des personnages modestes aux personnalités célèbres.
Aventures, affiches de mai 68, fêtes, commissariats, portraits, poésie, politique en sarabande


divers
Cinquante troisième texte : Ma famille

* Sophie : Tu ne m’as jamais parlé de ta famille. Dis-moi un peu ?Nous allons sans doute revenir en arrière dans le temps, après avoir parlé de la fin du siècle actuel !

* Guy : Oui. Voilà ! Du côté paternel les Philippon ont vécu constament à Ajain (Creuse) pendant des siècles. Les archives les baptisent laboureurs ou éleveurs suivant leurs moyens pour le travail agricole : charrue, animaux, etc. Trois ancêtres ont été maires de la commune, pendant des décennies pour mon grand-père et mon arrière-grand-père. Tu vois que la passion politique peut se transmettre. Le grand-père était radical socialiste, en compétition pour les municipales avec le curé. Il a eu quatre garçons et aussi une fille « naturelle » avec la Victorine (tout le pays le savait et cela ne l’empêchait pas d’être élu car la chose était banale)

  • Il créa un commerce de vins en gros, qu’il cédera plus tard, en 1927, à son plus jeune fils, Emile mon père. Deux autres fils : René et Henri hériteront chacun d’une ferme et un autre fils, Fernand, d’un ensemble de bois. Les fils légitimes ont eu fort peur à la mort du grand-père, qu’il ait fait en douce, des cadeaux importants à sa fille naturelle. Un fils de cette dernière m’a alors interpellé : "Pourquoi, nous, nous n’héritons pas !" L’adolescent que j’étais, fut bien embarrassé.
  • J’ai fort peu connu ce grand-père, bien qu’il ait vécu à 100 mètres de ma maison. L’un des oncles Fernand appelé « Bombonne venait par contre régulièrement bavarder amicalement avec maman. Il mériterait un récit. Les petits-fils de René l’oncle le plus âgé, Michel et Pierre, venaient me voir!
  • Mes parents et moi allions régulièrement à Vichy, chez mon parrain, qui m’avait choisi comme héritier, car il avait perdu son fils. Il avait vécu dans la misère, avait été aidé par ma grand-mère maternelle, était devenu ingénieur et même directeur des mines de Bozon dans le midi. Ces mines appartenaient à des Anglais qui ont dû être tués pendant la guerre de 1939 et n’ont donné aucun signe de vie après cette guerre. Je ne vais pas te raconter les énormes soucis que m’a causé l’héritage de la villa de Vichy. Ce parrain était d’ailleurs de droite, pétainiste
  • Ma mère Adrienne était une paysanne, née dans une maison isolée d’un tout petit village appelé Lage dans la commune de Parsac. Nous avons une photo du mariage en 1904, à La Celle sous Gouzon, de ses parents Marie, fille du maire de cette commune, et Cyprien, agriculteur à Lage, Ma mère à moi avait dû être fort protégée par sa mère à elle. Car, lorsque, mariée à 18 ans, elle se retrouve dans le bourg d’Ajain, dans une famille fort différente, elle a du mal à s’adapter et ses parents viennent s’installer avec elle.
  • Ma grand-mère s’occupa en fait plus de moi que ma maman et je lui étais très attaché. Le grand-père, gazé à la guerre de 1914, mourut assez vite. Il ne me laisse pas de souvenirs. J’ai eu une sœur, morte à trois ans d’une maladie cardiaque que l’on saurait soigner aujourd’hui.

* Sophie : Quelle était l’ambiance familiale ?

* Guy : Dans mon enfance et mon adolescence, j'ai été gâté, presque « pourri » par mes parents. Parce que j’avais une très mauvaise vue et qu’ils avaient perdu ma petite sœur. Ils faisaient presque tout à ma place, sur le plan pratique et pour les achats divers. Donc, quand je fus seul dans Paris, j’avais du mal à commander des boissons, à demander des renseignements. Chez un marchand de chaussures ou de vêtements, je n’arrivais pas à sortir sans acheter, même si rien ne me plaisait vraiment. Je suis né en 1927, à une époque où la natalité était faible et je n’avais pas à Ajain de camarades de mon âge avec qui jouer. Les élèves de l’école rentraient à pied dans le village de leurs parents paysans, situé souvent à 4 km ! Mon ami Jeannot vivait à Paris et ne venait que lors des vacances scolaires chez sa tante. C’est avec lui que j’ai fait quelques fredaines !

  • Mon souvenir global est plutôt négatif au niveau de la relation inter familiale. Il y avait une rivalité entre mon père et ma grand-mère par rapport à moi, à mon affection. Mais surtout il y avait trop de tensions entre mon père et les deux femmes, sur des questions souvent liées à l’argent. Les crises se traduisaient par des bouderies prolongées pendant une semaine, par des repas totalement silencieux. Du coup, j’ai été heureux d’être interne au lycée de Guéret, avec d’autres préoccupations et une bande d’amis. Je revenais, en général, le week-end, en vélo ou dans la voiture de mon père.
  • Mon père avait une forte capacité de communication, d’échanges. C’était un grand bricoleur dans plusieurs domaines ; la mécanique, car il avait été mécanicien à Paris, la menuiserie (il avait tout un atelier, il me construisit une bibliothèque et un pupitre de travail), le tissage (il réalisa, lors de sa retraite, des dizaines de grands et magnifiques tapis en laine, à partir de modèles anglais « Readicut ».qui décorent plusieurs pièces de ma maison creusoise et ma chambre de Paris) et enfin le jardinage.
  • Ma mère avait une grande intelligence, une réelle finesse, mais restait à la maison, donc était un peu solitaire. Même chose quand elle se trouva à La Celle Sous Gouzon dans sa nouvelle maison. Elle y assurait tout le travail ménager et d'entretien; j’ai souvent vu maman repriser divers vêtements : après sa mort, nous avons retrouvé une chemise de nuit qui avait tellement été reprisée que l’on ne voyait plus que l’ensemble des zones réparées. Souci d’économies, mais ce travail lui fournissait une occupation manuelle qui meublait ses moments de solitude
  • Elle restait des heures assise devant la fenêtre, à regarder la place du village, le vieux tilleul et la vieille église. Mais il y avait peu de circulation humaine devant sa fenêtre. Elle savait beaucoup de choses par sa voisine Paulette Pinet, sa grande amie.
  • J’aimais beaucoup, moi aussi, Paulette, : une femme toujours souriante, optimiste mais lucide, très fine, aimée par toute la commune. Elle a longtemps tenu un débit de tabac et une épicerie pour les aliments de base indispensables et même un poste d’essence. C’était le lieu de rencontres. Son fils Bernard est devenu lui aussi notre ami et surveille notre maison, lors de ses nombreux voyages en Creuse ; comme le fit avant lui sa mère.

* Sophie : Tes parents sont sans doute morts ?

* Guy : Bien sûr ! J’ai d’abord vécu la maladie et la mort de ma grand-mère. J’étais interne au lycée Henri IV, lorsque j’ai appris qu’elle avait un cancer du foie. Aux vacances de Noël, je l’ai vue souffrir terriblement. Mes parents m’envoyaient, le soir, jouer au bridge chez des amis. J’ai vu le médecin de famille lui retirer du liquide de la plèvre. Souvenirs atroces ! J’ai appris sa mort au lycée Henri IV et son enterrement est le pire souvenir de ma vie. J’ai découvert le contact horrible du froid de la mort en lui faisant une bise dans son cercueil ! Je me suis effondré psychologiquement au cimetière. De retour à Paris, je me suis trouvé les mêmes symptômes, donc atteint d’un cancer du foie, que je n’avais pas.

  • Mon père a eu un infarctus pendant que j’étais en Creuse. Le médecin est venu assez vite et mon père s’en est bien sorti. Mais à l’époque, ces malades ne devaient plus faire de réels efforts. Donc se posait le problème du commerce de vins en gros. Il fallait envisager la vente du commerce, donc de la maison qui lui était liée. Le frère de mon père, Henri, était en position de force, puisqu’il assurait une transition inévitable. Il proposait un prix qui paraissait un peu bas à mes parents. Il rêvait de ce commerce depuis toujours. Je dus insister pour qu’ils acceptent. Donc ce frère Henri prit le commerce en mains.
  • Mes parents allaient déménager pour une maison située à 20 km construite au début du 20e siècle Elle avait besoin de travaux d’aménagement. Il a fallu que je m’en occupe, pendant mes vacances d’été. Je suis venu tous les jours, à la nouvelle maison, en Vespa. Il fallait accompagner les artisans électriciens qui étaient en même temps peintres et plombiers (ils créaient une salle de bains ). Pendant qu’ils travaillaient, je décapais les poutres de la cuisine qui étaient couvertes d’une épaisse couche de suie, suite au mauvais tirage de la cheminée.
  • J’achèterai à Paris des carreaux noirs et blancs que nous collerons, mon père et moi, sur le sol de la cuisine et celui de la salle de bains. Le déménagement se fit sans moi. Mon père remplaça ses activités de commerçant par celles de jardinier. Il fut astreint à un régime alimentaire sévère par ma mère. Cette nouvelle vie dura plusieurs années sans anicroches.
  • Pendant mes vacances, je fis la dalle en ciment de la cour, dont je t’ai déjà parlé…et beaucoup de vélo. Lors des vacances de Noël 1989, je reçus un coup de téléphone de maman disant que papa faisait une rechute. Retour rapide en Creuse. L’état de mon père est grave. Des voisins le portent du premier étage au rez de chaussée dans un autre lit. Le médecin est très pessimiste. Dans la nuit de Noël Il perd conscience, Une sorte de craquement indique que le cœur a cessé de battre. Je passerai sur les soucis pour l’enterrement, l’héritage, et sur le chagrin etc.

* Sophie : Et pour ta maman ?

* Guy : C’est une période fort pénible. J’étais avec Agnès et son neveu Guillaume, en 1995, à Domart en Ponthieu. Je travaillais avec Guillaume sur un scénario possible pour mon projet de pièce de théâtre sur la paresse individuelle et collective qui s’appellerait « Boffffe ». Un téléphone des voisins de maman m’informe qu’elle a été trouvée sur la descente de lit le matin et envoyée à l’hôpital de Montluçon, avec des membres paralysés. Choc ! Guillaume s’occupe de mon trajet de retour, horaire des trains, achat de billets, correspondances, etc.. J’arrive le soir et commencent des semaines très pénibles. Agnès me rejoint vite. Nous irons chaque jour, en voiture, à Montluçon. Maman a les bras et les jambes fortement paralysés et il faut l’alimenter à la cuillère. Elle supporte mal de ne plus être chez elle. Nous avons du mal à lui faire accepter de bien se nourrir.

  • Et il faut trouver une maison de retraite médicalisée qui puisse l’accueillir. Donc nous prospectons. Quand Agnès repartira pour travailler en septembre, je m’installerai dans un hôtel proche de la gare de Montluçon, avec présence à l’hôpital chaque après-midi. Angoisse de la nuit sur une possible aggravation ! Angoisse de l’alimentation à l’hôpital ! Maman n’est pas seule dans sa chambre. Il y aura d’abord un coiffeur victime d’un AVC et une vieille artiste farfelue ; quand elle changera d’étage, elle sera avec une famille bruyante et méprisante pour maman.
  • L’hôpital ne peut pas la garder indéfiniment et une maison de retraite d’Evaux les Bains finit par l’accepter. Nous partons en ambulance et les nombreux virages m’inquiètent pour son cœur ! On l’installe dans une grande chambre commune où sa voisine semble avoir perdu la tête. Pas de toubib pour l’accueil ! Elle demande un café. Je pars m’installer dans un hôtel d’Evaux et je reviens. Je lui parle et elle ne répond pas. Je finis par appeler. Elle vient de mourir
  • Une cousine, Claude, femme de Pierre Manouvrier vient à Evaux me soutenir et m’aider dans les diverses démarches, comme le changement de commune pour le cercueil. La cérémonie religieuse aura lieu dans notre petite église, dirigée par des paroissiennes, car depuis longtemps nous n’avons plus de curé et celui de la ville voisine est débordé ! L’inhumation dans le caveau de famille sera impossible, car il ne restait plus de place ! Le cercueil dut rester sur place une nuit, avant que les fossoyeurs ne regroupent les vieux ossements ! Le chagrin m’empêcha de souffrir de ces péripéties et les formalités d’héritage sont pénibles !
divers
Cinquante deuxième texte : L’avenir possible ? Probable ?

* Sophie : Nous avons beaucoup parlé sur le passé ! Ton passé politique personnel particulièrement ! Comment vois-tu l’avenir de notre planète ?

* Guy : C’est une question que je me pose beaucoup depuis quelques temps et sur laquelle j’ai de fortes convictions, partagées quelque peu par certainEs ! La base est, je crois profondément, que nous sommes dans la période d’un changement de monde, presque de civilisation, comme celle où le capitalisme est apparu avant de devenir dominant, pendant les dix neuvième et vingtième siècles. Mutation analysée alors par Karl Marx et Friedrich Engels et dans un autre domaine par Sigmund Freud.

  • Je pense que le développement du numérique et des robots est aussi important que le fut la découverte de l’imprimerie par Gutenberg. Elle permit les diffusions massives et rapides de livres. Maintenant Internet permet des échanges d’informations et d’idées entre des milliers de gens situés très loin les uns des autres et de façon quasi instantanée. La vitesse triomphe ! Souviens-toi des lenteurs de la vie campagnarde, sorte de sérénité, de paix !

* Sophie : Diable ! Tu vas chercher loin ta comparaison ! Pourquoi ce rapprochement ?

* Guy : Je la cherche dans l’analyse que faisait Marx, qui reste valable. Pour lui, c’est le progrès de la science et des applications techniques qui expliquent les changements de société. Il analyse le passage d’une société moyenâgeuse, essentiellement agricole à une société industrielle. Bouleversement qui a entraîné des ruptures dans les modes de vie, dans les rapports sociaux jusque dans les religions (le protestantisme).

  • Le capitalisme est permis, au départ, par la découverte de la machine à vapeur, donc des trains et de l’automobile, par les ressources du sous-sol (pétrole et charbon) et aussi le fordisme. Il entraîne une urbanisation et une nouvelle structuration des classes sociales, le colonialisme et des guerres ; le productivisme également. Sa période éclatante est celle des 30 glorieuses, entre 1945 et 1974, avec de fortes croissances et un chômage relativement faible !
  • Ensuite le choc pétrolier a de lourdes conséquences ; le capitalisme devient plus financier qu’industriel. Il cherche maintenant de nouvelles formes d’exploitation ; le capitalisme vert et le capitalisme numérique (le GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazone, qui dominent le marché du numérique depuis le début du siècle actuel ; certains ajoutent Microsoft) ! Dans ces domaines le peuple a des atouts possibles. Marx disait que les classes sociales se structurent en fonction de la place dans le processus de production. Or la production devient de plus en plus liée à des machines ou au numérique. Donc les « intellectuels » qui inventent les robots, les smart phones, tablettes, etc. deviennent importants ; à quel point ?
  • Regarde l’accélération de l’histoire. Il y a quatre-vingts ans, pas de télé, pas de réfrigérateur, pas de machine à laver, pas de salle de bains et pas de WC à l’intérieur des maisons, peu de voiture et souvent pas de téléphone pour une grande majorité et pas d’ordinateur bien entendu ! Dans les campagnes chaque famille ou presque mangeait les légumes et les fruits de son jardin, ses poules et ses lapins, achetait ses vêtements à des marchands de passage, voyageait peu ! Les ouvriers vivaient encore plus mal ! J’ai vécu cela. Cela durait depuis des siècles. Tout va vite, très vite !
  • Quand je suis arrivé à Paris, un poinçonneur de billets m’accueillait à chaque extrémité de chaque quai de chaque métro. Un agent validait sur sa petite machine à manivelle mon ticket de bus et tirait le cordon sur la plate forme pour donner le signal du départ au conducteur. Je ne te raconte pas cela par nostalgie, mais pour que tu penses au nombre d’emplois disparus. Maintenant des machines valident mon pass navigo. La SNCF est menacée par le covoiturage organisé par Internet et aussi par les bus.Tout va vite, très vite !
  • Un cousin postier me dit que la Poste n’envoie plus guère de courrier d’individus, mais essentiellement des publicités. Nous communiquons de plus en plus par courriels, y compris pour des achats. La Poste est sauvée actuellement par sa banque postale implantée partout.. Nous retirons nos billets de banque sur des appareils avec notre carte bleue, pas à un guichet. Tout va vite, très vite !
  • Faut-il vraiment multiplier les exemples? A la fin du siècle, une partie de ce que nous appelons actuellement « travail » aura disparu à cause ou grâce aux progrès technologiques

* Sophie : Serais-tu donc profondément pessimiste ? Allons-nous vers un accroissement dramatique du chômage ?

* Guy : Non ! Je suis au contraire optimiste, si nous sommes intelligents et lucides à la fois. Je pense que le développement des robots et des technologies plus généralement vont permettre de remplacer énormément de travaux pénibles, fastidieux, trop répétitifs ou dangereux par l’utilisation de machines. Le travail de recherche, de créativité sera logiquement valorisé, ainsi que la formation permanente !

  • De plus un certain nombre d’obligations impérieuses, incontournables, nécessaires à nos survies vont nous obliger à des choix dramatiques et porteurs d’espoirs. Je parle des changements climatiques qui peuvent faire fondre la banquise, donc submerger d’énormes territoires, provoquer des millions de départs, des guerres. Je parle des pollutions qui peuvent menacer gravement nos santés. Donc de catastrophes écologiques qui exigent une lucidité collective, à l’échelle de la terre. Je veux penser que l’humanité saura réagir avant de disparaitre!
  • L’humanité commence à comprendre les avertissements des écologistes, à les écouter mais hésite à prendre les orientations qu’ils préconisent et les décisions concrètes urgentes. Car elles exigent des ruptures avec des habitudes ancrées. Un nouveau monde est en gestation et le vieux monde qui ne veut pas mourir s’accroche désespérément, brutalement parfois dans certains domaines. D’où les multiples tensions qui nous désarçonnent.
  • La religion de la croissance, moteur du bonheur, du productivisme commence à être contestée. La terre a des dimensions finies, les ressources naturelles sont limitées. Une sobriété volontaire devient nécessaire et elle peut être « heureuse » comme dit le philosophe Patrick Viveret. Depuis deux décennies nous dépensons des sommes considérables pour attirer la croissance. En vain ! Alors il est temps de changer nos priorités, de préparer le monde nouveau.
  • Déjà la consommation du bio se développe, l’agriculture raisonnable également, ainsi que les circuits courts. Les AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, qui créent des contrats entre consommateurs et paysans) se multiplient en France depuis 20 ans ; elles sont nées au Japon. Des « jardins partagés » naissent partout, ainsi que des « écovillages » (communautés autogestionnaires et écologiques). Les bâtiments se végétalisent. Bien des jeunes expérimentent l’autoentreprenariat et ses risques. Les conducteurs Huber découvrent leur exploitation. Le travail bouge vite, très vite ! Internet permet le travail à domicile, ce qui a des aspects positifs et des aspects négatifs.

* Sophie : Dis-moi, comment rêves-tu ce monde nouveau ?

* Guy : Je souhaite que le village devienne le lieu de vie dominant. Ce qui suppose que les grandes villes soient réorganisées en une multitude de micro quartiers. Villages où tout le monde connaît tout le monde, avec un savant équilibre entre bébés, jeunes, adolescents, hommes et femmes mûrEs, vieux et très vieux. La petite taille permettra une profonde solidarité et une réelle démocratie sur l’essentiel du quotidien commun.

  • Villages où beaucoup de besoins sont offerts gratuitement, beaucoup d’activités sont collectives. Machines et robots assument l’essentiel des tâches ! Les trocs de services et une monnaie locale font quasiment disparaître le rôle de l’argent, ce cancer capitaliste ! Les échanges de produits reçus d’ailleurs par le village et ceux envoyés par lui sont équilibrés sur des domaines informatiques, avec de fortes tolérances de temps. Ce qui n’est pas grave car l’argent n’est plus l’obsession du tout pour les humains !
  • Donc une redéfinition du bonheur qui ne sera plus lié à la fortune, mais à la convivialité joyeuse du collectif villageois, aux fêtes diverses, aux créations artistiques, aux activités sportives. La planète aura été sauvée par un miracle qui , peut-être aura été provoqué par une catastrophe spectaculaire dont la solution exigeait des décisions drastiques et mondiales ??.
  • La nourriture sera soigneusement liée à des impératifs de santé. La voiture aura laissé la place à des vélos de toutes formes ; avec un moteur pour les handicapés. Chacun, chacune sera jardinierE, pépiniériste ou agriculteur et, en même temps, expertE du web. Ses activités seront planifiées soigneusement entre, d’une part, activités produisant des nourritures ou des objets pour la collectivité, ou pour les autres villages… et, d’autre part, activités intellectuelles, créatives, activités sportives et activités démocratiques. Planifications faites par l’individu et la collectivité villageoise, en fonction des capacités, des âges, des états de santé ; facilement évolutives et vraiment acceptées par la personne concernée. Les accords sont infiniment plus faciles à obtenir entre des gens qui se voient quotidiennement et qui n’ont pas de supériorité hiérarchique !
  • Dans cette organisation, il n’y a plus lieu de distinguer travail , repos ou loisir. L’heure que chaque personne passera chaque jour à discuter et décider démocratiquement pour la collectivité ou pour des cas individuels est bien entendu comptée dans le planning. Tu vois que « travail » et « chômage » deviennent des mots dépassés !

* Sophie : De telles révolutions ne sont pas pour demain ! Sont-elles vraiment possibles ? Dans combien de siècles ? Que dis-tu de la cohabitation de ces millions de villages à l’échelle d’une ancienne ville ? D’une région ? D’un état si tu en vois encore ? De la planète ?

* Guy : Vraies questions ! Difficiles questions ! Mais nos sociétés ont un besoin extraordinaire de rêver, de préparer un avenir au lieu de désespérer, de rêver à un retour impossible en arrière ! Quel contemporain de Martin Nadaud aurait pu croire à l’apparition de réfrigérateurs, de la télé, d’avions, d’ordinateurs ? Croire que l’homme pourrait aller sur la lune ? Faire changer un de ses reins ? Il vivait il y a cent cinquante ans. Tout s’accélère dans les domaines scientifiques et technologiques. On envisage même d’aller sur une planète du système solaire !

  • On pourrait plutôt dire que tout va trop vite, à cause du réchauffement climatique, des pollutions difficiles à maîtriser car il n’y a pas de gouvernement mondial !
  • Je ne me sens pas capable de répondre sur la coordination des villages entre eux à l’échelle mondiale, même si je crois que les nouveaux moyens de communication peuvent permettre de résoudre beaucoup de questions de démocratie. Et l’urgence aujourd’hui est bien de trouver les moyens de sauver la planète contre le réchauffement climatique
  • Il y a quelque temps j’avais un peu développé mon rêve de société possible qui faisait la synthèse des aspirations écologistes, des aspirations communistes et des aspirations libertaires, sous le titre 2222 pour donner du temps au temps !
divers
Cinquante et unième texte : Les coulisses des partis

* Sophie : Y a t-il une personne qui a représenté la continuité et l’unité du PSU de 1960 à 1990 ?

* Guy : Tout à fait ; c’est une femme, qui n’a jamais été élue à quoi que ce soit, ni en interne, ni en externe. Mais elle a été au siège national et parisien rue Henner au début, puis rue Mademoiselle, rue Borromée et rue de Malte à la fin. Parce qu’elle était secrétaire des bureaux exécutifs. Elle s’appelle Geneviève Leprieur.

  • Geneviève a eu un rôle fédérateur extraordinaire pendant presque toute la vie du PSU. Les militantEs passaient dans son bureau pour prendre des tracts, recevoir ou donner des contacts, mais aussi et beaucoup pour bavarder en petits groupes, voire en tête-à-tête avec Geneviève. Echange d’informations et d’anecdotes qui font la vie réelle d’un groupe. Geneviève, par son sens de l’écoute, par son humour, son calme passionné était un pilier de ces convivialités. Internet a fait disparaître ces lieux de dialogues et c’est une perte importante.
  • Dans les années 1960 Geneviève Leprieur était la secrétaire de la fédération de Paris du PSU ; elle maîtrisait les adhésions, les cotisations, les animations des sections locales. C’était une femme magnifique et elle fut ardemment courtisée par Martinet et Poperen, secrétaires nationaux adjoints du PSU, en compétition pour succéder au vieux Depreux. Poperen voulait des informations sur le groupe parisien lié à Martinet. Martinet, lui, avait pour ses informations bien plus de ressources avec Heurgon ou Rocard, en responsabilité pour Paris !
  • Après 1968 elle ne s’engagea plus dans une tendance et permit donc, dans son bureau, des relations pacifiques entre des camarades engagés dans des confrontations ; pacification non négligeable ! Geneviève était également une secrétaire particulièrement sérieuse et efficace. Je ne sais pas quels furent ses rapports avec les secrétaires nationaux, sauf avec Rocard, cordiaux et avec Huguette Bouchardeau, amicaux. Geneviève et Huguette ont continué à se voir quand Huguette abandonna la vie politique.
  • De même Gilles Martinet invita Geneviève à l’ambassade quand il fut ambassadeur à Rome sous la présidence Mitterrand.. C’est la première militante que j’ai rencontrée à mon arrivée à Paris en 1958 et elle fut mon amie jusqu’à sa mort ! Je dois dire que, lorsque j’ai été trésorier de la fédération de Paris en 1962, Geneviève a fait une part importante de mon boulot. Elle me raconta alors comment elle maternait Charles Hernu le futur ministre de la défense qui avait de gros problèmes psychologiques et venait déjà en battle-dress ! Le PSU te doit beaucoup amie Geneviève.

* Sophie : Dans un parti, comment s’élaborent les idées, les programmes ?

* Guy : J’ai, dans ce domaine, une expérience de plus de 50 années, au PSU puis chez les Verts. J’ai été longtemps secrétaire de section locale et plusieurs fois membre de l’exécutif parisien du PSU.. De plus, j’ai participé, de façon modeste certes mais régulière, aux débats sur les textes d’orientation à soumettre aux adhérents lors des congrès.

  • Je pense que l’élaboration des lignes politiques ne se faisait pas de façon aussi démocratique dans le PC ou le PS et je n’ai pas connu de l’intérieur les mouvements trotskistes. Dans les partis où j’ai milité les dirigeants emblématiques, connus, participaient réellement à ces débats. Mais ils ou elles écrivaient rarement eux-même et se contentaient de valider ce qui peut marquer fortement la différence avec les autres textes soumis. ; ou inversement d’évacuer les parties qui pouvaient trop faire conflit en interne.
  • Les commissions travaillent et rédigent dans leur secteur spécifique : économie, immigration, éducation, féminisme, etc. Mais leurs textes peuvent être trop pointus, trop complexes ou trop en avance sur l’opinion collective du moment. J’ai même vécu des textes de deux commissions différentes en contradiction, sur la laïcité je crois. Donc il faut que les congrès tranchent, nuancent et valident
  • Les documents élaborés par les commissions sont utiles pour la formation des adhérentEs et leurs membres écrivent parfois des livres ou poussent l’instance nationale à produire des affiches. Je pense à la commission Immigration du PSU qui obtint trois célèbres affiches, l’une avec un travailleur immigré, la deuxième sur les femmes immigrées et la troisième sur les enfants
  • Dans la réalité que j’ai vécue, les tendances jouent un rôle déterminant Elles sont les lieux où s’élabore l’orientation, car ce sont elles qui écrivent les textes qui s’opposent dans les congrès ou Assemblées Générales (terme choisi par les Verts pour marquer leur originalité). C’est l’endroit le plus efficace car il y a là une réelle homogénéité sur le fondamental et une confiance réciproque complète. Elles produisent donc les idées votées ensuite ou non.
  • Les tendances contrôlent les directions. Car les partis, entre deux congrès nationaux ont des « Conseils nationaux ». Ces instances peuvent critiquer certaines décisions de l’exécutif, les modifier, voire remplacer certaines personnes
  • Le nombre de tendances est souvent un problème, que la presse souligne avec plaisir, pour le PSU, les Verts et aussi le PS ! ; en 1963 le « Monde » ridiculisait le PSU, parti des 5 tendances (alors qu’il n’y a que 2 blocs, sur la question de l’autonomie par rapport à PS et PC). Ce nombre est lié à une méticulosité dans l’expression des problèmes dans toutes leurs nuances, mais aussi des questions tacticiennes voire liées à des ambitions personnelles.
  • J’ai vu, au PSU, un représentant de commerce qui n’avait trouvé aucun autre signataire pour sa motion, exiger les mêmes droits que les « vraies tendances ». Les partis exigent maintenant un nombre minimal de signatures, dans plusieurs départements!

* Sophie : Les tendances sont très mal perçues dans l’opinion ! qu’en penses-tu ? Il doit y avoir de bonnes raisons ?

* Guy : Elles sont souvent fort critiquées et rendues responsables de tous les maux ; donc on les rebaptise « sensibilités ». Pourquoi ces critiques ? D’abord parce que ce sont des lieux un peu clos, mystérieux pour celles et ceux qui n’en font pas partie. Et elles sont un peu un ferment de division. C’est pour cela que le PC les a toujours refusées.

  • En fait, elles y ont été clandestines dans la période stalinienne et sont devenues connues, mais pas reconnues, à partir des années 80. Leur absence a beaucoup empêché le débat démocratique interne ; et le PC a exclu beaucoup de « traîtres » qui avaient été de grands révolutionnaires comme André Marty, le mutin de la mer Noire ou de grands résistants comme Charles Tillon et Georges Guingouin, libérateur de Limoges ; parce qu’ils exprimaient des désaccords avec la direction !
  • Les tendances ont, à côté de leur importance sur l’élaboration des idées, un rôle plus discutable, qui peut donner lieu à de multiples contestations. Dans les faits ce sont essentiellement elles qui sont les « chercheuses de tête », c’est à dire de celles et ceux qui sont susceptibles de devenir éligibles à des directions dans le parti et même à des candidatures aux diverses élections. Donc elles doivent maîtriser les ambitions personnelles
  • Concilier la compétence, les qualités de communication, le sens des responsabilités, la motivation pour une tâche donnée avec la bonne orientation politique est rarement facile. D’ailleurs, comment mesurer ces divers aspects ? Qui peut le faire sans à priori et être ensuite justifié par le bilan de la personne choisie sur la tâche en question ? Cela semble impossible pour un homme, une femme ou un tout petit groupe. Les chances de « bons choix » sont plus importantes pour un groupe nombreux et relativement homogène, dont certainEs côtoient la personne postulante.
  • Le danger est que les tendances peuvent devenir des « fractions », c’est à dire, un deuxième parti à l’intérieur du parti, avec son propre bureau, sorte de contre exécutif, sa presse autonome avec des articles démolissant systématiquement des aspects fondamentaux de la loi votée au co* ngrès. C’est le cas, évidemment, quand une fraction envisage une scission (cas Poperen au PSU, cas Placé, De Rugy à EELV).
  • Elles peuvent alors faire fuir beaucoup d’adhérentEs lorsque leur opposition devient violente, que le sectarisme s’étend à tous les sujets. Les adhérentEs de base croient à des oppositions d’ambitions personnelles, même si le désaccord est sur le fond.
  • En 1962, après la paix avec l’Algérie, le PSU doit chercher son identité. Deux lignes s’affrontent très violemment sur l’autonomie par rapport au PS et au PC et en particulier sur les liens avec Mitterrand. Beaucoup y voient alors seulement une opposition entre des personnes : Poperen pour un PSU médiateur entre le PS et le PC, d’un côté et Martinet, Heurgon, Rocard de l’autre pour un PSU visant à devenir la force dominante à gauche. C’était n vrai débat d’idées stratégiques.
  • Chez les Verts, le débat sur le « ni-ni » (ni droite, ni gauche) était un vrai bat d’orientation et pas seulement une opposition entre Waechter et Voynet. Même chose pour l’opposition entre Dany Cohn Bendit qui voulait remplacer le parti Vert par un mouvement et Cécile Duflot qui défendait le parti quand fut créé EELV
  • Pour revenir au PSU, il y eut un moment où les tendances étaient totalement opposées sur l’orientation politique. C’est dans l’après 1968. Face à Rocard, luttaient une tendance trotskisante mais surtout deux tendances plus ou moins maoÏsantes. La « Gauche Révolutionnaire » voulait calquer sa stratégie sur celle de Mao, avec ses « Assemblées ouvrières et paysannes ». Elle oubliait les différences énormes entre la Chine et la France sur leur histoire, leur composition sociale, leur état économique, leurs dimensions. Ils furent de fait exclus en 1972, avant que Rocard rejoigne le PS en 1974.
  • Un vrai problème de fond, qui est difficilement soluble ! Il est juste que la ou les minorités aient leur place dans les exécutifs, pour exercer la démocratie et les contrôles. Il est logique qu’elles exercent des responsabilités. Mais, souvent, la personne X se voit accorder une responsabilité pour laquelle elle n’est pas compétente du tout. Pire ! Il arrive que l’opposante refuse de participer à la gestion concrète, quotidienne et se consacre totalement à l’opposition. Deux amies, anciennes secrétaires nationales des écologistes m’ont raconté avoir subi ce phénomène, auquel il faut trouver une parade.
  • Se pose un autre problème : celui des personnalités qui arrivent à avoir une forte image dans l’opinion publique, apparaissent dans les médias et symbolisent leur parti. La base des Verts, comme le fut celle du PSU est assez libertaire, refuse la présidentialisation, le sauveur suprême. Cela pose le problème de l’identification d’une organisation. Le PS est encore très fortement identifié à Mitterrand et le PSU à Rocard (ce qui n’est pas vraiment juste !): Lutte Ouvrières l’a été à Arlette Laguiller, la LCR à Krivine puis à Besancenot, le PC à George Marchais.
  • Nuit debout a volontairement refusé d’être identifié à quelqu’un ! Une organisation peut –elle continuer à exister, à durer sans identification ?? Délicate question ! Les Verts sont identifiés comme écologistes ; mais cela suffit-il ?